Un samedi d'octobre, les fauteuils du premier étage de la Grande Bibliothèque sont occupés par de fervents lecteurs de bande dessinée. La Presse est allée à la rencontre de ces «lecteurs en série».

La bédé destinée aux adultes vit-elle un âge d'or? Marc-André Goulet, chef du service des arts et de la littérature à la Grande Bibliothèque (GB), parle d'un élan éditorial sans précédent, de la qualité et de la variété de la production internationale de bédés.

«Nos collections n'ont jamais été aussi grandes», dit le bibliothécaire, qui confirme que les lecteurs montréalais répondent avec enthousiasme à l'appel de la lecture bédéesque. Pour les 12 derniers mois, la GB a compilé 200 000 prêts de bédés, une statistique qui exclut les 5000 à 7000 consultations sur place répertoriées chaque mois.

«On constate que les gens prennent un grand plaisir à passer des heures à lire une ou plusieurs bédés à la Grande Bibliothèque», note Marc-André Goulet, qui indique que le phénomène de la «lecture en série» (équivalent littéraire du binge watching de séries télé) a le vent dans les voiles.

Pour répondre à la demande de ses usagers, la Grande Bibliothèque a déplacé au premier étage ses collections bédés, pour les rendre plus visibles et accessibles aux visiteurs, et a fait passer à 25 le nombre de documents pouvant être empruntés sur une même carte.

Résultat: les emprunts de bédés ont connu une augmentation de près de 20 %.

«C'est un art qui s'est ennobli: la bédé, aujourd'hui, a un prestige équivalent au roman. Pour la Grande Bibliothèque, c'est vraiment un de nos fers de lance, aussi populaire que les films, les séries télé et les jeux vidéo», indique Marc-André Goulet.

Pour tous les goûts

Ce qui attire les usagers de la GB à l'étage des bédés? Des séries comme The Walking Dead, les bédés ayant été adaptées pour la télé et le cinéma, les superhéros, les mangas... Du côté québécois, la série des Paul et celle des Nombrils rallient aussi de nombreux amateurs. Et mentionnons les classiques du roman graphique des dernières années, comme Jeanne et le renard de Fanny Britt et Fun Home, de la New-Yorkaise Alison Bechdel.

La forme bédéesque explose aussi hors des frontières du premier étage de la Grande Bibliothèque. La section documentaire contient de plus en plus de bédés-reportages (avec des auteurs phares comme Joe Sacco et Guy Delisle.) La bédé perce également les domaines scientifiques et médicaux, grâce à la contribution de MK Czerwiec (Comic Nurse) et de Ian Williams (The Bad Doctor), deux pionniers de la « médecine graphique ».

La bédé se retrouve aussi au rayon des livres culinaires, dans celui des biographies, avec notamment des bios graphiques de grands jazzmen, comme Ella Fitzgerald et Glenn Miller.

L'appropriation de l'art bédéesque a donné lieu à l'émergence d'ateliers créatifs pour les jeunes et les adultes. La prolifique bédéiste américaine Lynda Barry a publié aux éditions montréalaises Drawn & Quarterly plusieurs ouvrages sur le thème du «faites-le vous-même», à l'intention des aspirants bédéistes (What It IsSyllabus et Picture This). La bédéiste, qui prône le retour au dessin pour les adultes, a aussi lancé une formation en ligne intitulée Making Comics pour inviter les gens à s'approprier la bédé. De façon sporadique, la Grande Bibliothèque propose aussi des ateliers de création bédéesque, tout comme les Ateliers C (dans Villeray), qui programment des séries d'ateliers d'intro à la bédé destinés aux adultes.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Pour répondre à la demande de ses usagers, la Grande Bibliothèque a déplacé au premier étage ses collections bédés, pour les rendre plus visibles et accessibles aux visiteurs