Il s'agit du dernier scénario de film écrit par Pierre Falardeau. Un récit de guerre qui met en scène un bataillon de Québécois au front en Flandre, durant la Première Guerre mondiale. En cinq ans, le cinéaste n'est jamais parvenu à financer son film. Il est mort en 2009. Et avec lui le scénario achevé du Jardinier des Molson.

Le bédéiste Richard Forgues a côtoyé Falardeau dans les années 90. C'est lui qui a conçu l'affiche du film Octobre. Il devait également adapter en bédé le scénario de La job (sur la vie du cambrioleur Marcel Talon), avant que le cinéaste ne perde les droits au profit d'Érik Canuel, qui a réalisé le film sous le titre Le dernier tunnel.

Richard Forgues, âgé de 51 ans, a entendu parler du scénario du Jardinier des Molson il y a six ans, lorsque Jules Falardeau - l'un des fils du cinéaste - a évoqué la possibilité de réaliser le film de son père. C'est à ce moment-là qu'il a contacté la famille du cinéaste - dont sa veuve Manon Leriche - en leur proposant de faire un album.

«C'était pour moi une manière de mener à terme ce projet. Une fois qu'on s'est entendus, je me suis engagé à le faire coûte que coûte. Une façon de dire que Pierre n'avait pas dit son dernier mot. C'est aussi un testament pour tous ces jeunes gens qui sont morts à la guerre avec cet aller simple pour l'Europe.»

L'album de 400 pages, qui reprend le scénario de Pierre Falardeau mot pour mot, devait sortir en 2014 dans le cadre des commémorations du centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Mais le projet s'est étiré, notamment parce qu'aucune maison d'édition ne voulait publier le livre.

«On a fait une campagne de sociofinancement pour nous aider, précise Richard Forgues, qui travaille également pour Ubisoft comme scénariste, mais sinon, on a publié 1000 exemplaires à compte d'auteur - sous le nom Gentilhomme de fortune. On l'a lancé officiellement la semaine dernière.»

Le personnage principal du Jardinier des Molson, le sergent Jules Simard, qui parle un joual coloré où les sacres fusent de toutes parts, raconte son aventure au front. Richard Forgues lui a prêté les traits de Pierre Falardeau. En lui glissant une cigarette au bec. «C'était ma façon de lui rendre hommage», nous dit l'illustrateur.

Flandre, 1918

Nous sommes donc en Flandre, en 1918. On suit le 22Bataillon d'infanterie (futur 22e Régiment) déployé pendant quatre jours sur un front avancé, qui s'apprête à remplacer un bataillon français. Les hommes de Jules Simard se rendent compte que les Allemands sont en train de creuser une mine sous leur position.

Dans cette histoire illustrée en noir et blanc dans un style très cru, avec des jeux d'ombres et des images floues, on reconnaît la voix de Falardeau, mais surtout son affection pour les petites gens qui font partie du bataillon - mineurs, pêcheurs, trameurs, etc. Et son dégoût pour les patrons, caporaux et autres bourgeois anglophones.

En parlant d'un soldat d'origine guatémaltèque, le sergent Simard lance: «À force de g'ler a'c nous autres, d'manger d'la marde pis de s'battre, y est rendu comme mon frère.» De la même manière, on retrouve presque avec plaisir son aversion pour les journalistes en général.

Un des personnages lui lira un extrait de Souvenirs de prison du journaliste de combat Jules Fournier: «Il y a tant de journalistes qui pensent et écrivent comme des chevaux, qu'on ne voit pas bien pourquoi un cheval ne pourrait pas penser et écrire comme un journaliste...»

Des personnages «ben ordinaires»

Conscrits, volontaires, étudiants, fonctionnaires, Falardeau a réuni une galerie de personnages «ben ordinaires», qui jouent leur vie dans ce théâtre de guerre et qu'on découvre au hasard de leurs conversations. Aujourd'hui, Richard Forgues discute avec Jules Falardeau de la possibilité de faire un film d'animation à partir de la bédé!

«Ce qui m'a ému le plus à la lecture de ce scénario, c'est l'intensité du récit de ces jeunes qui n'ont jamais pu rentrer chez eux. Je crois que Pierre avait un intérêt pour cette histoire parce qu'on en a peu parlé, de la Première Guerre mondiale et des conditions abjectes dans lesquelles ces soldats québécois se sont trouvés.»

Pour illustrer ce récit de guerre, Richard Forgues a eu accès à tous les documents que Pierre Falardeau a consultés pour écrire son histoire. «Des notes, des livres, des revues, il avait fait beaucoup de recherches. Et puis, j'ai consulté la famille de Pierre au cours du processus pour qu'ils valident toutes les étapes du projet.»

Le plus grand défi de l'album était la longueur du scénario, évalue l'illustrateur qui a travaillé pendant quatre ans sur ce projet. «Il n'y a pas de coupures, j'ai pris le scénario en entier, donc ça équivaut à un film de près de trois heures... Mais ce n'était pas difficile parce que le scénario était complet et que le découpage était bien fait. Les images sont venues toutes seules.»

L'album, qui n'est pas encore en vente en librairie, peut être commandé sur le site jardinierbd.ca.

Le jardinier des Molson. Scénario de Pierre Falardeau, dessins de Richard Forgues. Gentihomme de fortune, 414 pages.

PHOTO DANIEL FORGUES, FOURNIE PAR L'AUTEUR