L'humour québécois, et particulièrement la bande dessinée, a perdu un valeureux pionnier samedi quand Jacques Hurtubise a été emporté par une crise cardiaque; il avait 65 ans.

Jacques Hurtubise est surtout connu comme cofondateur et âme dirigeante du mensuel CROC, le premier success-story de l'édition humoristique québécoise. Grâce à une subvention de 80 000$ du gouvernement péquiste, Hurtubise a lancé CROC à l'automne de 1979 avec Hélène Fleury, sa compagne de l'époque, et le journaliste Roch Côté; la revue est sortie chaque mois - plus quelques numéros spéciaux - jusqu'en mai 1995.

L'auteur de chansons et dessinateur Pierre Huet a agi comme rédacteur en chef pendant 11 des 15 années de parution de la revue qui signait «C'est pas parce qu'on rit que c'est drôle». La série complète est offerte en version numérique sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

«J'avais rencontré Jacques, raconte Huet, dans le cadre du Festival international de la BD que j'avais fondé quand j'étais animateur culturel à l'Université de Montréal. Il aimait mes chansons, Ginette entre autres, et il avait décidé que j'avais de l'humour. J'ai été de la première équipe de collaborateurs de CROC et j'en suis devenu rédac'chef au numéro 5, quand Roch Côté a été nommé professeur à l'UQAM.»

Avant CROC, Jacques Hurtubise avait été au centre de groupes de bédéistes qui avaient publié notamment des revues comme L'Hydrocéphale entêté, puis, en «syndicat», participé à l'aventure du quotidien indépendantiste Le Jour (1974-1976) qui, durant quelques mois, a publié une page de bandes de trois ou quatre cases. Hurtubise y signait du pseudonyme ZYX ses BD du Sombre Vilain qu'il amènera à CROC. Comme d'autres «noms», pour remplir la partie textes du magazine qui comptait pour 60% du contenu.

Avant Guy A. Lepage et Stéphane Laporte, l'ex-Cynique Serge Grenier (1939-2012) signera dans CROC, tout comme Jean-Pierre Plante, qui deviendra le dernier scripteur-chef d'un Bye bye en direct.

Quand j'ai entendu dire que Jacques lançait un magazine d'humour, se souvient Plante, j'ai dit «Je veux en être!». Il m'a pris et j'ai commencé à écrire Gaston Boston, pour devenir plus tard responsable des rubriques «La presse en délire» et «La ville la plus drôle»».

«Jacques Hurtubise, gentil géant chaleureux, mais d'humeur changeante, était un véritable entrepreneur, courageux et fou en même temps. Un peu comme Gilbert Rozon... J'ai souvent vu Hélène et Jacques faire la liste des avoirs qu'ils pourraient vendre ou laisser en gage pour sauver la revue qui, parce les annonceurs étaient craintifs, ne survivait que grâce à son tirage. Jacques mettait sa vie sur le billot...»

Jean-Pierre Plante, crack d'informatique avant le boom, se souvient aussi que son éditeur, formé en la matière, lui, avait vite sauté sur sa suggestion de convertir la salle à l'ordinateur et aux logiciels de jeu de première génération... au grand dam de «traditionalistes» comme Huet qui, il le dira lui-même, était «très attaché» à sa machine è écrire et à ses crayons à mine.

Comme éditeur et ouvreur de chemins, Jacques Hurtubise a été un véritable catalyseur de l'humour au Québec où beaucoup lui doivent leurs premiers pas sinon leur carrière.

Outre de nombreux amis, il laisse dans le deuil ses fils Étienne et Gaspard.