Vingt ans après la mort de son créateur Hugo Pratt, Corto Maltese revit grâce au duo espagnol formé du scénariste Juan Díaz Canales et de l'illustrateur Rubén Pellejero. Cette fois, le célèbre aventurier maltais se retrouve dans le Grand Nord canadien à la demande de son ami... Jack London. Premier de deux albums qui relancent la série-culte.

Corto Maltese est de retour. Avec ses longs favoris, son anneau à l'oreille, sa cigarette au bec et ses légendaires répliques assassines.

Le beau ténébreux n'a pas pris une ride depuis ses dernières aventures dans l'île de Pâques racontées dans l'album Mû, la cité perdue, paru il y a plus de 23 ans! Même son ami Raspoutine, que l'on retrouve dans plusieurs histoires, est de retour dans Sous le soleil de minuit, en librairie depuis quelques jours.

Avec ce nouvel album, Casterman redonne vie à sa série-culte des années 70 et 80 créée par l'Italien Hugo Pratt, auteur de 12 albums. Après la résurrection des séries Astérix, Lucky Luke et Blake & Mortimer, l'éditeur belge se lance lui aussi dans la voie des reprises. Un projet mené par l'ancienne coloriste de Pratt, Patrizia Zanotti, devenue son ayant droit après sa mort en 1995.

Les Espagnols viennent d'ailleurs de signer un contrat pour un deuxième album à paraître en 2017. Joint dans son studio de Barcelone il y a quelques jours, le dessinateur Rubén Pellejero insiste: «Cette reprise de Corto Maltese n'est pas un one shot. Nous espérons que ce sera le début d'une nouvelle série de plusieurs albums, a-t-il affirmé. Nous travaillons déjà sur le deuxième.»

Se frotter à un mythe

Celui qui a illustré Les aventures de Dieter Lumpen raconte avoir eu un choc lorsque le scénariste madrilène Juan Díaz Canales l'a joint. «Je croyais que c'était une blague, raconte-t-il. Mais il parlait sérieusement... J'ai pris quatre jours pour réfléchir, parce que c'est quand même un projet impressionnant. Dans le monde de la bédé, Corto Maltese est un mythe!»

Estimant que l'éditeur avait respecté un délai raisonnable avant de relancer la série, Rubén Pellejero n'a pu résister à l'invitation.

«Pendant mes années d'apprentissage, Hugo Pratt a été un véritable maître pour moi, confie-t-il. Mon personnage de Dieter Lumpen a d'ailleurs été inspiré par celui de Corto Maltese. Pratt avait déjà laissé entendre dans des entrevues [avec Dominique Petitfaux dans De l'autre côté de Corto] qu'il n'était pas opposé à l'idée que son personnage lui survive un jour, et ça, c'était important pour moi.»

Patrizia Zanotti a d'abord pris contact avec Milo Manara (Le déclic), qui était l'un des amis proches d'Hugo Pratt, mais le célèbre créateur de bédés érotiques a refusé, rapporte Rubén Pellejero. Les auteurs Joann Sfar et Christophe Blain auraient eux aussi été pressentis par Casterman. Mais c'est finalement l'auteur de Blacksad (Dargaud), Juan Díaz Canales, grand admirateur de Pratt, qui a été choisi.

Rubén Pellejero a-t-il craint d'être perçu comme un simple «copiste»? Le dessinateur barcelonais répond par la négative.

«C'est l'esprit et l'ambiance de Pratt qui nous intéressaient, beaucoup plus qu'une image exacte de ses dessins.»

«De toute façon, ce n'est pas possible de faire une bonne copie des dessins de Pratt, estime-t-il. J'ai fait une relecture visuelle de son oeuvre. Ceux qui connaissent mon travail retrouveront mon style, par exemple dans le cadrage des images.»

Pellejero, qui dit avoir joui d'une liberté «totale» dans ce projet, tenait à ce que les lecteurs retrouvent l'attitude corporelle et la prestance de Corto Maltese. Il s'est inspiré des albums Les Celtiques, Les Éthiopiques et Corto Maltese en Sibérie pour représenter Corto Maltese, dont les traits sont plus «caractéristiques» que dans ses premiers albums. Pour les décors, il a préféré sa «première époque», lancée par La ballade de la mer salée.

Pour éviter le piège de la copie, il dit avoir travaillé très rapidement, produisant jusqu'à 10 planches par mois.

«Le trait de Pratt était très rapide, souligne Rubén Pellejero. Il allait vite et il prenait beaucoup de risques. J'ai voulu faire comme lui, bien réfléchir au scénario, puis me lancer, en prenant moi aussi ce risque. J'ai utilisé un feutre noir pour faire les dessins, comme il le faisait. On a mis la couleur après. Mais il y a eu un petit tirage d'albums en noir et blanc.»

Corto Maltese au Yykon et en Alaska

Comme dans ses précédentes aventures, Corto Maltese se trouve mêlé par le plus grand des hasards à des histoires rocambolesques. Sous le soleil de minuit ne fait pas exception à cette règle.

Notre homme reçoit une lettre de son ami Jack London, très malade, qui lui demande de remettre une lettre à une ancienne flamme qui combat la traite des blanches en Alaska. Dès son arrivée dans l'État américain, il apprendra que cette femme a été kidnappée et emmenée au Yukon, en territoire canadien. Grâce à un jeune guide inuit, il parviendra à mettre pied sur ce territoire hostile.

Moins «historique» que les précédents albums de Pratt, Sous le soleil de minuit nous entraîne tout de même dans un tourbillon d'aventures où Corto, fidèle à lui-même, dénoncera les dérives racistes de l'époque.

Nous sommes en 1915 (toutes les aventures de Corto Maltese, qui se déroulent entre 1905 et 1925). Avant de retrouver l'amie de Jack London, Corto devra combattre un syndicat japonais qui gère des bordels, des patriotes irlandais malcommodes et un chef inuit sanguinaire inspiré par l'oeuvre de Robespierre ! Signe des temps, au cours de cette aventure nordique, il découvrira même grâce à son ami un gisement de sables bitumineux...

Pour la couverture de l'album, Pellejero a choisi de ne pas montrer le visage de son héros, que l'on voit de face, mais avec l'ombre noire de sa casquette qui masque ses traits. «Je ne voulais pas que les gens fassent la comparaison avec le Corto Maltese d'Hugo Pratt avant même d'avoir lu l'histoire. J'espère qu'après cette lecture, les gens diront qu'ils ont retrouvé l'esprit de Pratt. C'était aussi pour moi une marque de respect pour le personnage de Corto Maltese.»

Corto Maltese - Sous le soleil de minuit. Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero. Casterman, 82 pages.

RETOUR EN SYRIE

Le tome 2 du récit de jeunesse de Riad Sattouf est paru ici il y a déjà quelques mois, mais on s'en voudrait de ne pas s'attarder à la sortie de ce magnifique roman graphique, qui connaît un succès planétaire. Après avoir narré son quotidien en Libye dans le tome 1, le cinéaste-bédéiste raconte son retour en Syrie, dans un village situé près de la ville de Homs. Riad Sattouf a 6 ans et s'apprête à entrer à l'école. Là, le petit garçon à la tignasse blonde (sa mère est française) fera ses premiers pas dans le pays de Hafez al-Assad. Une vie souvent dure et injuste, où les femmes sont mises à l'écart et où les instituteurs recourent systématiquement à la violence. «L'Arabe du futur», malheureusement, est précisément cet enfant à qui on transmet des valeurs rétrogrades, qui joue à «tuer» des Juifs (parce que c'est ce que les autres font) et qui sera même témoin d'un crime d'honneur. Comme Marjane Satrapi (Persepolis), Riad Sattouf s'en tient au récit, illustré avec une certaine candeur (sur fond rose!). Le troisième tome est déjà en cours d'écriture.

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L'Arabe du futur, t. 2. Riad Sattouf. Allary Éditions, 158 pages.

L'Arabe du futur, tome 2

UN RÉCIT TENDRE ET HUMAIN

On connaît Zidrou (Benoît Drousie) pour sa série L'élève Ducobu, inspirée de ses années d'instituteur, mais également pour ses nombreuses collaborations avec le magazine Spirou. Cet automne, le bédéiste belge lance le premier album d'une série baptisée Les beaux étés avec le dessinateur barcelonais Jordi Lafebre, avec qui il a notamment travaillé sur la série Lydie. Nous sommes en 1973 et c'est les vacances d'été. Mais Pierre, qui est bédéiste, doit livrer ses dernières planches de BD... Jolie mise en abîme de l'auteur qui, comme son personnage, a quatre enfants! La petite famille belge finira par prendre le chemin des vacances en mettant le cap sur la France, direction l'Ardèche. De «dernières vacances» avant que les parents ne se séparent, apprend-on en cours de route. Il y a beaucoup de tendresse et d'humanité dans les dessins de Zidrou, qui nous dépeint une vie de famille authentique, avec ses hauts et ses bas. On attend une suite.

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Les beaux étés, t. 1 - Cap au sud! Zidrou et Jordi Lafebre. Dargaud, 56 pages.

POUR ÉTIRER L'ÉTÉ

Autre récit de vacances en voiture pour aller à la mer - décidément, c'est un sujet porteur! - signé David Prudhomme et Pascal Rabaté (La Marie en plastique). Un album tout plein d'humour et d'esprit où l'on voit converger une foule de vacanciers vers leur petit coin de paradis. Ici, point d'histoire ou d'intrigue, simplement le temps qui passe seul, en famille ou entre amis quand on échoue sur une plage. Des moments de liberté partagée par la faune vacancière que l'on voit éclore dans toute sa splendeur. Que ce soit en jouant au volleyball, aux commandes d'un cerf-volant ou en jouant dans le sable, rien n'échappe à leurs observations. Petits et gros, imberbes et poilus, avec ou sans maillot, sans discrimination. Les dessins sont à la fois minimalistes et extrêmement précis dans l'expression des émotions. Le duo parvient à recréer les moments les plus loufoques que l'on partage ou qu'on garde pour soi quand on est au bord de la mer. Un album idéal pour étirer les vacances jusqu'à la première neige.

* * * 1/2

Vive la marée! David Prudhomme et Pascal Rabaté. Futuropolis, 120 pages.

LE PARCOURS ATYPIQUE DE CASS ELLIOT

The Mamas & the Papas, ça vous dit quelque chose? California Dreamin' était l'une des pièces les plus populaires de ce quatuor rock des années 60, qui faisait la loi avec The Byrds, The Four Seasons et The Beach Boys. La bédéiste française Pénélope Bagieu (Joséphine, Stars of the Stars, fait avec Joann Sfar) s'intéresse à la chanteuse du groupe, Cass Elliot (Ellen Cohen de son vrai nom), morte à 32 ans à la suite d'une crise cardiaque (en 1974). Bagieu y va d'un roman graphique qui prend la forme d'une autobiographie romancée où l'on suit le parcours atypique de cette plantureuse jeune femme qui quitte son patelin de Baltimore pour tenter sa chance à New York, tout en refusant de maigrir! On y suit la formation du groupe composé de Denny Doherty et du couple John et Michelle Phillips, qui a connu une gloire éphémère avant de se séparer. Au-delà de l'originalité de la démarche de la jeune bédéiste, on apprécie le trait vif et un peu rêche de l'illustratrice, qui a dessiné au crayon gris le quotidien d'une femme qui a rêvé d'être une star.

* * * 1/2

California Dreamin'. Pénélope Bagieu. Gallimard, 272 pages.

AUTRES SORTIES

Le domaine Grisloire, t. 2 - La fille qui explose, Michel Falardeau, Glénat Québec, 48 pages.

Mort au tsar, t. 2 - Le terroriste, Fabien Nury et Thierry Robin, Dargaud, 59 pages.

Le chat du rabbin, t. 6 - Tu n'auras pas d'autre dieu que moi, Joann Sfar, Dargaud, 54 pages.

Avant l'Apocalypse, Réal Godbout et Adèle Bourget-Godbout, Mécanique générale.

Derniers jours de guerre, Joe Sacco, Rackam, 41 pages.

Promise, t. 3 - Incubus, Thierry Lamy et Mikaël, Glénat Québec, 48 pages.

Reconquêtes, t. 3 - Le sang des Scythes, Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes, Le Lombard, 48 pages.

Superdupont, renaissance, Gotlib, Boucq et Belkrouf, Dargaud, 67 pages.