Les créateurs Jean-Yves Ferri et Didier Conrad ont dévoilé hier en grande première à la tour Eiffel la couverture et quelques personnages du 36e album d'Astérix, avec la bénédiction d'Albert Uderzo et d'Anne Goscinny, fille du regretté auteur. Le papyrus de César, lancé mondialement le 22 octobre, sera inspiré du fameux texte La guerre des Gaules de César et de notre société obsédée par l'information. Un événement.

Pourquoi une conférence de presse à la tour Eiffel pour dévoiler quelques informations sur le prochain album d'Astérix? Parce qu'Astérix est un véritable empire, la bande dessinée la plus lue dans le monde, et que tous les albums vendus (360 millions) mis bout à bout représentent 8880 tours Eiffel, symbole glorieux de la France...

Mais on procède à l'américaine, en révélant au compte-gouttes à la presse, nombreuse à faire le pied de grue au célèbre monument pour l'occasion, quelques détails pour créer le buzz avant le lancement. Et réserver la surprise aux millions de lecteurs impatients.

On dévoilait donc la couverture de ce 36e album, créé par Jean-Yves Ferri (scénario) et Didier Conrad (dessins), les mêmes qui avaient relancé la machine en 2013 avec Astérix chez les Pictes, sous la surveillance d'Albert Uderzo, et qui reviennent forts d'une continuation qui a connu le succès, puisque cet album est le livre qui s'est le plus vendu en France cette année-là (5,4 millions d'albums dans le monde). Fait amusant: les deux créateurs sont nés en 1959, la même année qu'Astérix!

«Je félicite tout le monde que l'on ait trouvé deux auteurs qui puissent faire la succession de ce qu'on a créé, Goscinny et moi, a dit Albert Uderzo, qui a pris sa retraite du dessin en 2010. C'était pas évident. Ils ont chacun fait un travail extraordinaire.»

«J'ai le sentiment que les auteurs ont été plus détendus et, tout le long de l'album, ça se sent», a renchéri Anne Goscinny, la fille de René Goscinny, mort en 1977.

«C'est le 36e album et les Romains vont voir 36 chandelles encore», promet Uderzo, dans le secret des dieux, bien évidemment.

«La satisfaction d'un père est la meilleure publicité», a résumé Ferri.

La guerre des Gaules et Julian Assange

Peu d'éléments de l'intrigue ont été divulgués, mais on sent d'avance le ton, en découvrant les personnages. On savait déjà que le nouveau méchant, Bonus Promoplus, conseiller et éditeur de César, était vaguement inspiré du publicitaire Jacques Séguéla.

Voilà que nous découvrons Doublepolemix, qui lui, est inspiré du controversé Julian Assange. Il a bien failli s'appeler Wikilix, mais la référence aurait été trop évidente... C'est le gentil, qui veut faire éclater la vérité.

Avec comme autre inspiration La guerre des Gaules, peut-être l'un des plus anciens et illustres récits de propagande, écrit par César lui-même, on devine qu'il sera question d'information et de désinformation - mais paraît-il que le célèbre village gaulois n'en a que pour l'horoscope des journaux, lus seulement par Rezowifix, autre nouveau personnage, le lettré de la bande.

La guerre des Gaules, c'était le livre de chevet de mon père, a raconté Anne Goscinny. Il disait «César est merveilleux, il est encore plus menteur que moi!»

Lancement mondial et secret éditorial

Voilà ce que les fans découvriront le 22 octobre, jour du grand lancement mondial - cela inclut le Québec. Le tirage est de 4 millions d'exemplaires, dont 2 millions en langue française. Un événement dans le milieu de l'édition. D'ailleurs, tous ceux qui ont eu accès aux planches ont dû signer un contrat de confidentialité.

«Par exemple, dans le contrat, personne n'a le droit d'entrer dans mon atelier, même ma femme et mes enfants ne peuvent lire l'histoire», nous a confié le dessinateur Didier Conrad, rencontré dans les bureaux de l'éditeur Hachette, après la conférence de presse.

Jean-Yves Ferri et Didier Conrad l'avouent, ils ne se sont pas encore tout à fait remis du choc médiatique d'Astérix chez les Pictes, mais c'est ce qui leur permet d'être plus à l'aise aujourd'hui pour l'excitation entourant Le papyrus de César. Après tout, ils avaient sur les épaules rien de moins qu'un mythe à poursuivre. Et on doit être très prudent avec ça.

«J'ai laissé Idéfix chez les Pictes et j'ai presque reçu des menaces de mort», raconte Ferri. Voilà pourquoi on respecte aussi les running gags: les pirates terrorisés, le poissonnier fâché, les baffes. Des traditions, quoi.

Cette fois, Uderzo est très peu intervenu dans leur création, disent-ils, puisque la confiance règne des deux côtés. Mais quelle est la part de liberté créatrice dans un univers qui, bien qu'il ait bercé leur enfance, ne leur appartient pas?

«René Goscinny étant devenu un mythe, alors forcément, on ne peut pas être à la hauteur, jamais, répond Jean-Yves Ferri, humblement. Quand vous faites un Astérix, vous êtes quand même obligé de penser à l'aspect strictement premier degré aussi, c'est-à-dire l'aventure, Astérix et Obélix. Comment ils vont évoluer dans ce thème. Et ça vous donne un cadre.»

«C'est une question qu'on se pose tous les jours, poursuit Didier Conrad. Les gens imaginent que parce qu'on peut faire pareil, on est aussi talentueux, ce qui est complètement faux. Il y a une différence entre refaire et créer un style. Il n'y a pas vraiment de comparaison entre un continuateur et un créateur. Après, qu'est-ce qu'on peut apporter aujourd'hui, comment redonner une pertinence, alors oui, il y a du travail et de la créativité.»

Ils précisent qu'ils ne sont pas les «successeurs» de Goscinny et Uderzo comme on les présente souvent, puisqu'ils ne sont pas enchaînés à un contrat de plusieurs albums - c'est chaque fois un nouveau contrat. Les actionnaires de Hachette aimeraient un nouvel album tous les ans, disent-ils, tandis qu'Uderzo, «qui est de notre côté», estime qu'un album tous les trois ans est préférable. Le compromis a donc été fixé à deux ans, et les deux créateurs pensent déjà au prochain Astérix.