Bédé, ça rime avec été. L'un de nos tout premiers festivals estivaux, c'est justement le Festival de BD de Montréal, qui s'ouvre aujourd'hui pour tout le week-end, au parc La Fontaine. Rencontre avec le bédéiste invité Jacques Ferrandez et propositions d'activités - toutes gratuites.

L'expression «roman graphique» est parfois galvaudée dans l'univers de la BD. Mais pas quand il s'agit de Jacques Ferrandez: en 1987, le bédéiste français né à Alger écrivait et dessinait Carnets d'Orient-Djemilah, premier album d'une série-culte qui raconte, explique et sonde en 10 volumes l'Algérie coloniale et la guerre d'Algérie.

Ferrandez est l'un des invités phares du troisième Festival de BD de Montréal, festival dont l'un des thèmes est justement la BD algérienne. Nous avons interviewé le fameux bédéiste alors qu'il revenait... d'Algérie, où une exposition lui est consacrée!

Jacques Ferrandez a «dessiné» L'étranger et L'hôte d'Albert Camus, de même que Jean de Florette et Manon des Sources de Pagnol, travaillé avec les écrivains Tonino Benacquista, Daniel Pennac et l'humoriste Fellag, écrit et dessiné l'Algérie dans ses Carnets d'Orient et maints autres de ses «romans graphiques», conçu des albums BD sensibles sur la Syrie, Cuba, l'Irak, le Liban ou Sarajevo, illustré des dizaines de livres jeunesse... entre autres!

Contrebassiste jazz à ses heures, Jacques Ferrandez travaille à peu près tout le temps: «Mais c'est ce que je voulais faire, gamin, de la BD! lance-t-il en riant, au bout du fil. J'en aurais fait de toute façon dans mes temps libres si j'avais dû occuper un autre emploi. Alors, je n'ai jamais l'impression de travailler puisque j'en fais à temps plein!»

Et si les sujets plus «lourds» sont souvent présents dans ses ouvrages, il ne dédaigne pas le plaisir: il travaille actuellement sur une BD autour de l'art de vivre et des métiers de la bouche dans le bassin de la Méditerranée, en collaboration avec le chef français Yves Camdeborde.

Ferrandez et le Québec

Né à Alger en 1955, en pleine guerre civile, mais émigré avec ses parents à Nice dès 1956, Jacques Ferrandez dessine «à temps plein» à compter de 1978: dans la regrettée revue de BD À suivre, il illustre les scénarios imaginés par Rodolphe - et déjà, le genre polar et «noir» lui sied à merveille.

En 1987, il entreprend sa série Carnets d'Orient, lumineuse et tout en nuances, sur un sujet toujours sensible et polémique: l'Algérie colonisée par la France. Le premier carnet se déroule en 1836, l'ultime carnet (publié en 2009) se passe en 1962, avec la fin de la guerre.

Dans l'un de ses derniers Carnets, deux des personnages se sont réfugiés au Québec pour échapper au terrorisme et à la vengeance, et confrontent gentiment un ami québécois sur le sort fait ici aux Amérindiens, comparé à celui fait aux Algériens par les Français, avec cette conclusion hélas avérée: «Une nation, c'est une colonisation qui a réussi.»

Jacques Ferrandez connaît bien le Québec, puisqu'il y vient régulièrement depuis 20 ans et y compte de nombreux amis. «Il y a effectivement un parallèle troublant entre tous ces pays qui ne pratiquent pas nécessairement de génocide, mais qui imposent au moins l'acculturation aux populations d'origine. Mais je ne tiens pas de discours idéologique dans mes albums, je ne prends jamais pour ou contre une position. Je raconte plutôt des histoires de personnes aux prises avec l'Histoire. Ils ne la font pas, ils la subissent.»

Est-ce un hasard si, dans ses Carnets d'Orient, ces «personnes» forment des couples mixtes? «Non, sans doute pas. Bien qu'il n'y en ait pas eu tant que ça, des couples mixtes, dans l'Algérie coloniale: ils étaient condamnés des deux côtés! Mes albums ne se fondent pas sur la nostalgie de ce qui a été. Si nostalgie il y a, c'est de ce qui n'a pas été, ces rencontres qui n'ont pas eu lieu.»

Le bédéiste a toujours été fasciné par ce mystère de populations qui arrivent à vivre ensemble pendant des décennies et qui, soudain, se déchirent avec une barbarie incroyable. «Dans le bassin de la Méditerranée, il y a la mer, le soleil et la tragédie. Pour reprendre le titre du premier livre de Camus, il y a toujours L'envers et l'endroit...»

Plus de 100 bédéistes seront du troisième Festival de BD de Montréal pour le démontrer à compter d'aujourd'hui.

Phylactères choisis

D'abord, c'est de la bande dessinée partout. Ensuite, c'est gratuit: bref, c'est le troisième Festival de la BD de Montréal, qui accueille 100 bédéistes d'ici et d'ailleurs ainsi que 40 exposants, à compter de 13h, aujourd'hui, jusqu'à 17h, dimanche, au parc La Fontaine. Sous un grand chapiteau et dans l'Espace Lafontaine, il y aura rencontres, dédicaces, expositions, dessins en direct, animations jeunesse... sans oublier une série d'activités autour de la BD algérienne. Voici des bulles de suggestion!

Dédicaces

Impossible de donner l'horaire complet des dédicaces, il y en a trop, mieux vaut aller sur le site www.fbdm-montreal.ca Mentionnons tout de même que certains incontournables seront de la partie: Jimmy Beaulieu, Delaf et Dubuc, Tristan Demers, Réal Godbout, Michel Rabagliati, Julie Rocheleau... L'idée, sur place, c'est de prendre ensuite le temps de découvrir des dizaines d'autres bédéistes!

La BD au féminin

Après tout, bande dessinée, c'est un mot féminin! Le FBDM sera donc l'occasion de lancer officiellement l'album C'est pas facile d'être une fille de Bach (Estelle Bachelard), qui sera au Festival demain et dimanche après-midi. De son côté, India Desjardins, qui a signé la BD adulte La célibataire avec l'illustratrice Magalie Foutrier, sera sur place le samedi après-midi. L'iconoclaste Zviane (Sylvie-Anne Ménard), qui signe notamment L'ostie d'chat sera, elle, présente tout au long du Festival, même aujourd'hui!

Nathalie

C'est en quelque sorte la petite soeur de Mafalda (qui fera l'objet d'une rencontre au FBDM pour marquer ses 50 ans, cet après-midi): Nathalie est l'héroïne de 17 albums du Français Sergio Salma depuis 1989 - et elle rêve toujours de voir le monde! Sergio Salma sera au Festival aujourd'hui, demain et dimanche, pour les fans de Nathalie, mais aussi pour présenter ses autres «héros», tel le crabe Surimi, accablé par les hordes de touristes qui envahissent sa plage...

Captain Biceps

Ils sont des dizaines de milliers à adorer ce nouveau «héros» à la fois dérisoire et musclé parodique, Captain Biceps, dessiné par Tébo et scénarisé par Zep: après la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Afrique du Sud, l'Europe de l'Est et la Chine (!!!!), le Québec, lui aussi, succombe, et Tébo lui-même sera au FDBM, notamment pour un Quiz Captain Biceps, demain matin. Y aura-t-il une question sur «Superménage-Woman»?

Photo: fournie par Dupuis

Delaf et Dubuc