Une brave souris part en quête d'une arme emblématique, un ogre se débat avec ses démons intérieurs et une adorable grande gueule tente de régler une sale affaire dans les bas-fonds de Londres. Ces albums étaient espérés, certains depuis longtemps, et le plaisir valait l'attente.

Blast: Pourvu que les bouddhistes se trompent

Le voyage dans le subconscient de Polza Mancini est terminé. Et non, on n'arrive pas à bon port. On savait depuis le premier (Grasse carcasse, 2009) des quatre tomes de ce long interrogatoire de police que cette affaire finirait mal.

Pour la finale, Larcenet nous entraîne dans un étouffant huis clos autant physique que mental: pourchassé par la police, l'ogre vit reclus à la ferme avec Roland et Carole Oudinot, sans possibilité de fuir les fantômes de son cerveau malade.

Ses pulsions sexuelles pour la jeune femme n'arrangent rien. Un blast final le conduira au bout de sa fuite et de sa folie.

Une oeuvre bédéique aura rarement creusé avec tant d'acuité, et autant de désespoir, la noirceur de l'esprit humain. Au fil des 800 planches de cette série hors du commun, Larcenet n'aura jamais fini d'étonner par la maîtrise de sa narration et de son audacieux mélange des genres graphiques.

Un chef-d'oeuvre.

* * * * 1/2

BLAST: POURVU QUE LES BOUDDHISTES SE TROMPENT. MANU LARCENET. DARGAUD, 202 PAGES.

Les légendes de la garde: La hache noire

Quelle fabuleuse épopée! La paix est revenue au royaume des souris depuis que la rébellion a été matée (Automne 1152, 2008) et que la forteresse de Lockhaven a été sauvée de l'insurrection (Hiver 1152, 2011).

Mais la matriarche Gwendolyn sait que la menace ne sera jamais éteinte. C'est pourquoi elle espère l'avènement d'un nouveau héros, digne de la hache noire. Comment cette arme emblématique a pu demeurer cachée si longtemps?

Pour l'apprendre, un bond de 37 ans en arrière, en 1115, est nécessaire pour suivre le jeune garde Celanawe dans une longue quête du saint Graal.

Cette odyssée n'a pas le lyrisme de la fresque guerrière d'Hiver 1152, terriblement sombre et épique. Mais Petersen procure ainsi à sa saga médiévale, magnifiquement dessinée dans la tradition de Beatrix Potter, une nouvelle profondeur psychologique (et politique) digne des meilleures oeuvres littéraires.

Gallimard fait d'ailleurs honneur à cette série américaine par un travail soigné d'édition.

* * * *

LES LÉGENDES DE LA GARDE: LA HACHE NOIRE. DAVID PETERSEN. GALLIMARD, 195 PAGES.

Maggy Garrisson: Fais un sourire Maggy

«Premier jour de boulot et il pleut comme un éléphant qui a la chiasse.» Un polar avec une intro aussi accrocheuse suscite son lot de grandes promesses.

Mais Trondheim répond aux attentes avec une chronique jubilatoire sur la débrouille, pimentée de réflexions caustiques et de dialogues à la Tarantino.

Oiry est tout autant à la hauteur avec un dessin sobre, un recours brillant au gaufrier et des couleurs aux ambiances so british.

Installée à Londres, la grassouillette Maggy Garrisson travaille pour un détective privé pas net, ni souvent sobre. Pilier de bar elle-même, douée pour régler les emmerdes, cette irrésistible grande gueule fait le boulot avec un minimum de morale, sans se sentir l'âme d'une justicière.

Après que son patron s'est fait tabasser, elle se trouve aux prises avec des petits caïds prêts à tout pour trois simples tickets d'arcade. Aurait-elle tiré le billet chanceux?

Délectable jusqu'à la fin. Indeed.

* * * 1/2

MAGGY GARRISSON: FAIS UN SOURIRE, MAGGY. TRONDHEIM/OIRY. DUPUIS, 48 PAGES.

C'est pas facile d'être une fille

Estelle est une jeune graphiste dans une société de jeux vidéo. Un travail passionnant? Difficile à dire. Selon ce premier tome de ses aventures, sa vie se limite surtout à enseigner à son amoureux (hyper patient) comment décoder ses émotions en montagnes russes, ainsi qu'à accepter ses contradictions féminines. Et pour Estelle et sa copine Steph, tout problème semble se résoudre en flambant sa paie dans les boutiques.

Mince, tout ça? Un peu, en effet. Servies dans une variété limitée de saynètes, les savoureuses anecdotes d'acheteuse compulsive complexée finissent par tourner en rond.

Pourtant, les adolescentes se délecteront de cette chicklit bourrée d'autodérision, au dessin soigné, simple et chic, à l'image de sa belle héroïne.

Cette jeune professionnelle pleine de doutes par rapport à l'avenir à deux, capable d'une crise existentielle devant un toupet rebelle, est promise à un bel avenir. Il reste à Bach de la faire grandir.

* * *

C'EST PAS FACILE D'ÊTRE UNE FILLE. BACH. MÉCANIQUE GÉNÉRALE, 130 PAGES.

Alpine: Le sang bleu

L'écurie Alpine a fait la gloire du sport automobile français dans les années 60 et 70. Outre un impressionnant palmarès, la marque de Jean Rédélé a légué à l'histoire la sublime Berlinette A110, la quintessence de la voiture de rallye. Rédélé rêvait, dans les années 50, de construire des voitures au prestige basé sur les victoires sur les circuits.

Le trio Bernard/Papazoglakis/Paquet rappelle cet âge d'or peuplé des bêtes mécaniques créées par Alpine, ainsi que des prototypes Matra, les Datsun 240Z, Saab 96 et autres Toyota Corolla 1600.

Papazoglakis et Paquet ont fait leurs classes auprès de Jean Gratton (Michel Vaillant), le maître du genre, pour mettre en scène ces bolides de rêve. Ils ne parviennent cependant pas sans déraper à dessiner des personnages tout aussi réalistes.

À l'inverse, le scénario du journaliste Denis Bernard enterre sous des détails techniques et des considérations commerciales le rêve brisé d'un homme oublié.

* * 1/2

ALPINE: LE SANG BLEU. BERNARD/PAPAZOGLAKIS/PAQUET. GLÉNAT, 48 PAGES.