En remportant le Fauve d'or du meilleur album au Festival de la bande dessinée d'Angoulême, dimanche, c'est comme si le Québécois Guy Delisle avait reçu l'Oscar du meilleur film. «Ce prix, c'est le big one», admet au téléphone l'auteur de Chroniques de Jérusalem, roman graphique qui raconte le quotidien d'une famille -la sienne- partie vivre un an en Israël. «Angoulême, c'est le plus gros festival de BD au monde. Alors toute proportion gardée, c'est vrai, c'est comme si j'avais remporté un Oscar...»

Guy Delisle était déjà de retour dans sa maison de Montpellier, dans le sud de la France, lorsque nous l'avons joint mardi matin. Il vit de l'autre côté de l'Atlantique depuis une vingtaine d'années déjà, et la plupart de ses livres sont publiés chez l'éditeur français Delcourt. Mais il ne renie pas du tout ses origines et raconte, avec son accent français teinté d'expressions québécoises, comment toutes ces expériences s'additionnent. «Hier (lundi), j'ai fait la première page du journal de Montpellier qui a titré: «Un Montpelliérain remporte le Fauve d'or à Angoulême». Je suis Montpelliérain d'adoption, mais j'ai un fin fond québécois qui me va très bien. C'est la beauté de vivre dans plusieurs pays: les cultures s'additionnent. L'une ne remplace pas l'autre.»

La sortie de Chroniques de Jérusalem, l'automne dernier, n'est pas passée inaperçue en France. Guy Delisle était ainsi une des vedettes du Festival, ce qui est venu conclure des mois de promotion intensive. Mais l'auteur qui vient tout juste d'avoir 46 ans ne s'était pas créé d'attentes. «J'avais déjà été en nomination deux fois et je n'avais pas gagné. Je me disais donc jamais deux sans trois: j'avais même acheté mon billet de train pour repartir avant la cérémonie de clôture! Quand j'ai senti une rumeur favorable, j'ai décidé de rester, mais je me voyais remporter le prix Regard sur le monde. Il y avait plein de beau monde dans la sélection officielle, des gens de qualité.»

Le jury dirigé par Art Spiegelman a cependant choisi de couronner Guy Delisle: un cadeau pour celui qui a grandement été influencé par le travail de l'auteur de Maus. «Le paysage de la BD n'aurait jamais évolué aussi vite sans lui. Il a répondu à cette question que les gens de ma génération se posaient, c'est-à-dire comment peut-on faire mieux, rendre ce médium plus fort? Il a répondu de façon éclatante en mêlant l'autobiographie et le reportage.»

De retour du Festival, l'auteur laisse retomber la poussière et retrouve avec plaisir son atelier, sa table à dessin et ses pots d'encre, prêt à entreprendre de nouveaux projets. Mais avec les enfants qui grandissent, Guy Delisle et sa femme, qui travaille pour Médecins sans frontière, ne partiront plus pour de longs séjours à l'étranger, comme ils l'ont fait à Jérusalem et à Rangoon - d'où est né Chroniques birmanes, en 2007. «Je peux quand même rester dans l'autobiographie, faire des voyages plus courts aussi. Et je vais sûrement faire un tour du côté de la fiction.»

Le monde et son état resteront une source d'inspiration. Il aime l'observer - il se voit d'ailleurs un peu comme un anthropologue- et le reproduit avec minutie et délicatesse, sans porter de jugement, légèrement en retrait. «C'est d'ailleurs un trait québécois, cette façon de s'ouvrir, de ne pas être péremptoire. Une approche modeste qui fait qu'on sait regarder sans affirmer de grandes vérités. Oui, ça fait sûrement partie de mon fond québécois.»