Paul, qu'on a surtout connu adulte, retombe en enfance dans Paul au parc. Plus léger que les deux précédents, ce septième album de Michel Rabagliati remonte à l'été et à l'automne 1970, où son petit monde est secoué par bien d'autres événements que les bombes du FLQ.

Paul a vu le jour dans un album boudiné, photocopié à la main et tiré à 12 exemplaires. « C'était pour la famille », se rappelle le bédéiste Michel Rabagliati. Une décennie plus tard, son sympathique alter ego a été adopté par des milliers de lecteurs et sa famille s'est considérablement élargie : Paul à Québec, paru en 2009, s'est écoulé à plus de 40 000 exemplaires et sera adapté au cinéma.

« Paul, c'est un gros hit, je suppose », avance prudemment son auteur. Ce l'est. Pas seulement dans le domaine de la bande dessinée d'ici, mais dans la littérature québécoise au sens large où quantité d'oeuvres n'atteignent au mieux que quelques centaines de lecteurs. La série Paul est de plus bardée de prix et traduite en plusieurs langues.

Michel Rabagliati, qui se décrit comme « un gars straight et pratique », n'accueille pas ce succès avec une bouffée d'orgueil. Il le savoure de manière plus concrète. « J'en vis depuis trois ou quatre ans et c'est une surprise », dit le créateur, qui s'est lancé en bédé alors qu'il avait déjà franchi le cap de la quarantaine. « Je suis bien fier de ça, mais ça ne va pas plus loin. »

Paul et ses mentors

Sorte d'amalgame entre un Tintin au nez pointu et les traits du bédéiste lui-même, Paul est lui aussi un gars plutôt terre à terre. Sa vie, qu'on découvre dans le désordre en passant d'un album à l'autre, n'a rien d'extraordinaire. Mais elle n'a rien de banal non plus. Conteur à l'humour savoureux, Michel Rabagliati se démarque par sa manière extrêmement fine et sensible d'aborder les petites et grandes tragédies de nos vies contemporaines.

Après Paul à la pêche et Paul à Québec, si chargés émotivement qu'on ne peut les traverser sans étouffer quelques sanglots, le bédéiste offre un peu plus de légèreté. Paul au parc relate un pan de l'enfance de son alter ego : son premier baiser et son passage chez les scouts. L'album est né d'un désir de rendre hommage à des animateurs qui furent pour lui de vrais mentors.

En toile de fond, la crise d'Octobre, que le jeune Paul saisit mal, mais qui fait courir un petit frisson dans son groupe d'amis. « C'est comme ça que je me sentais quand j'étais petit. J'avais un peu peur, se rappelle Michel Rabagliati, qui avait 9 ans en 1970. On sentait que ça grondait et qu'il pouvait se passer quelque chose. »



Le choc de l'authenticité

Paul au parc raconte aussi le choc qu'a représenté le livre Comment on devient créateur de bande dessinée dans lequel Franquin donne tout ses trucs. « Ç'a été une révélation ! », s'enthousiasme Michel Rabagliati. Comme son idole, il a rêvé de travailler pour le magazine Spirou, mais n'a jamais sérieusement envisagé de faire des albums jeunesse ni des gags.

« Au bout d'un gag en une planche, je ne suis pas satisfait, dit-il. Je n'ai pas installé de psychologie, je n'ai pas installé mon histoire et je n'ai pas le temps pour les silences. Je me sers beaucoup des silences, maintenant. »

Ce qui l'a ramené à la bédé, c'est la découverte de Drawn & Quarterly, maison d'édition anglo-montréalaise lancée en 1989 qui a contribué à redéfinir le médium avec des auteurs comme Seth (Palooka-Ville), Julie Doucet (Dirty Plotte) et Chester Brown (Yummy Fur). « Ça m'a donné un coup, se rappelle-t-il. C'était des auteurs qui parlaient de leur vie personnelle. Ils mettaient leurs tripes sur la table et ne faisaient pas de guiliguili aux enfants. »

Impressionné et ému par l'honnêteté de ces auteurs et de quelques autres de l'association, il leur a emboîté le pas et est devenu romancier à sa manière. « J'essaie de donner à mes albums un souffle semblable au roman, confirme-t-il. Le dessin ne se raffine pas tant que ça, ce sont les techniques narratives que j'essaie d'affiner. Je veux avancer comme auteur. Je ne veux pas juste empiler les livres. » Aucun risque.



Paul au parc

Michel Rabagliati

La Pastèque

En librairie le 10 novembre

Illustration: Michel Rabagliati