Tintin, qui s'apprête à vivre une nouvelle jeunesse grâce à la caméra 3D de Steven Spielberg, a généré un formidable héritage culturel et financier contrôlé d'une main de fer par la veuve d'Hergé et son très controversé second mari, le Britannique Nick Rodwell.

Le film Tintin - Le Secret de la Licorne sortira en Europe le 26 octobre et en Amérique le 23 décembre.

Il va offrir une notoriété accrue au petit reporter aux traits redessinés, mais aussi par une nouvelle vague de produits dérivés qui pourrait rapporter gros aux héritiers d'Hergé.

«Il y a toutefois un risque que l'univers de Spielberg phagocyte celui d'Hergé. Financièrement et en terme de notoriété, c'est sans doute une bonne affaire. Mais l'objectif de promotion et de préservation de l'oeuvre à long terme ne sera peut-être pas atteint», a déclaré à l'AFP Jean-Claude Jouret, qui s'occupait de la gestion des droits à la fin des années 1980.

Lorsque le «père» de Tintin, Georges Rémi, dit «Hergé», meurt d'une leucémie en 1983 à Bruxelles, Fanny Vlamynck, une coloriste qui a travaillé à ses côtés depuis 1956 et qu'il a épousée en 1977, hérite de l'ensemble des droits sur l'oeuvre.

À l'époque, les images tirées des 24 albums des aventures du petit reporter à la houppe apparu pour la première fois en 1929 dans le Petit Vingtième, le supplément pour enfant du journal catholique belge Le Vingtième Siècle, sont utilisées sur de très nombreux supports publicitaires, du pot de moutarde à l'huile de tournesol.

Ces droits dérivés sont gérés par une société, BIL (qui deviendra Moulinsart SA), tandis que la promotion de l'oeuvre est du ressort de la Fondation Hergé, deux entités où cohabitent Fanny Hergé et d'anciens collaborateurs du maître de la «ligne claire».

À la fin des années 1980, un homme d'affaires britannique, Nick Rodwell, qui a ouvert la première «boutique Tintin» à Londres, prend de l'importance dans la gestion de l'héritage.

Le Britannique a un credo: «Tintin, c'est la Rolls Royce de la BD». Il faut donc «recentrer» l'utilisation de son image pour le préserver des dérives engendrées par les trop nombreuses licences.

Nick Rodwell obtient dans les faits les pleins pouvoirs lorqu'il épouse Fanny en 1993. D'autant que celle-ci, qui déteste qu'on l'appelle «la veuve d'Hergé», s'intéresse plus à la philosophie bouddhiste qu'aux affaires.

Cette montée en gamme, voire cette sacralisation de Tintin, va s'accentuer au cours des années. Une planche originale est offerte au Centre Georges Pompidou à Paris, et un «musée Hergé» est finalement inauguré en 2009 à Louvain-La-Neuve, près de Bruxelles.

Revers de la médaille, Nick Rodwell «réussit à couper complètement Tintin de sa base populaire et enfantine», affirme le journaliste belge Hugues Dayez, auteur en 1999 du livre Tintin et les héritiers.

Seuls quelques produits haut de gamme sont encore commercialisés dans de rares boutiques et Moulinsart limite fortement l'utisation de l'image de Tintin. Le héros des enfants «de 7 à 77 ans» devient petit à petit un objet de collection pour amateurs nostalgiques et fortunés, regrettent les «tintinophiles».

Mais, en prenant contact il y a quelques années avec Steven Spielberg, qui songeait à adapter Tintin au cinéma depuis le début des années 1980, l'homme d'affaires britannique pourrait bien réussir l'un des vieux rêves d'Hergé: faire de son personnage un héros réellement universel.

«On sortira du ghetto Belgique, France, Suisse et Pays-Bas pour partir vers la Chine, vers les États-Unis. C'est très excitant», avait déclaré lors de la signature du contrat en 2007 Nick Rodwell, dont les interventions publiques sont très rares.