Après le théâtre, le cinéma, le rock et l'opéra, Robert Lepage s'attaque au monde de la bande dessinée. Le metteur en scène et cinéaste s'est associé à l'illustrateur Fred Jourdain pour lancer, mercredi, une adaptation graphique de sa pièce de théâtre Le dragon bleu. Robert Lepage a répondu à nos questions.

Q : Est-ce que, dès le départ, vous souhaitiez que Le dragon bleu se décline sous forme de bédé?

R : Pas du tout. On n'a pas publié beaucoup de textes de nos pièces à date et, quand une pièce est publiée, c'est très tard dans le processus et on sent toujours qu'on perd quelque chose, car le langage des spectacles d'Ex Machina est très visuel: il y a des composantes architecturales, visuelles, gestuelles qui n'apparaissent pas dans une édition traditionnelle. (...) C'est ma soeur, Lynda Beaulieu, qui a eu cette idée-là et qui me l'a proposée. On s'est dit que, vu que la bande dessinée a joué un rôle si important dans l'élaboration du projet, c'était naturel de faire ça.

Q : Québec compte plusieurs auteurs de bédé talentueux. Qu'est-ce qui vous a amené à vous associer à Fred Jourdain?

R : On a choisi Fred parce qu'en plus d'avoir une bédé très cinématographique, on aimait beaucoup ses ambiances et ses personnages. Il s'attarde beaucoup à l'émotion, à l'expression des personnages. Ce n'était pas juste une proposition graphique. On sentait qu'il avait le sens du mood général, de la température des lieux. (...) On savait qu'on s'imposait un style en s'imposant un bédéiste, mais, avec Fred, il y avait la curiosité, la jeunesse, le goût de l'aventure. Il avait envie de s'aventurer dans le trip de la calligraphie, de relire les Tintin, bref, de refaire le même voyage que nous en adaptant Le dragon bleu

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Q : L'album n'est pas vraiment une bédé ni un roman graphique. Vous souhaitiez une forme plus libre que la bédé traditionnelle?

R : On voulait décloisonner un peu les règles, parce qu'on s'était fait dire au départ: «Voici les règles de la bédé: habituellement c'est tant de pages, tant de cases; voici la différence entre une bédé et un roman graphique...» On s'est dit qu'il nous fallait trouver notre style dans tout ça et rendre compte de certains états psychologiques et de certaines ambiances qu'il y a dans la pièce. Il ne fallait pas s'empêcher d'exprimer ces choses-là parce que le roman graphique a des limites ou parce que la bande dessinée demande d'être plus détaillée. Ça nous plaisait de créer un objet baroque, de faire quelque chose qui avait sa propre couleur, sa propre forme, son propre vocabulaire.

Q : Vos créations sont invariablement des créations évolutives. A-t-il été difficile de vous résigner à publier une version qu'on pourrait qualifier de «finale»?

R : C'est un objet étrange, une bédé. Ce n'est pas la pièce. C'est inspiré de la pièce, c'est fidèle à la pièce, mais c'est quand même un univers en soi. Donc on est devenus un peu les spectateurs de cet univers-là. (...) Oui, c'est difficile de dire que c'est la version définitive, mais la pièce va continuer à avoir sa propre vie et à évoluer. La bédé, c'est comme une photo dans le temps.

Illustration: Fred Jourdain, tirée du Dragon bleu

Q : Avez-vous apprécié l'aventure au point d'en envisager une autre du genre?

R : Je ne sais pas. Peut-être qu'il y aura d'autres spectacles qui auront ça, je ne ferme pas la porte à ça, mais disons que, pour le moment, on n'a pas le projet d'une autre bédé. Mais ça m'a donné envie d'intégrer plus de bédé ou de m'inspirer plus du langage bédé ou graphique dans mes projets de spectacles.

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Le dragon bleu. Robert Lepage, Marie Michaud, Fred Jourdain. Éditions Alto/Ex Machina, 176 pages.

Illustration: Fred Jourdain, tirée du Dragon bleu