L'année qui vient de se terminer a été un autre jalon important dans la vie de l'auteur jeunesse Gille Tibo, qui a publié la vingtième aventure de Noémie en offrant à ses fans un roman double, Les grandes paniques. Succès majeur de l'édition au Québec avec plus de 400000 exemplaires vendus en 15 ans, Noémie est avant tout une histoire d'amour entre un personnage et son public, à l'image de celle qui unit la charmante coquine de sept ans et trois quarts et sa grand-maman Lumbago chérie.

À l'automne au Salon du livre de Montréal, des grandes filles de 15-16 ans venaient rencontrer Gilles Tibo pour acheter leur exemplaire du plus récent Noémie, parce qu'elles sont attachées au personnage. «J'ai vraiment reçu une grosse charge d'amour pendant ce salon. J'ai aussi constaté aussi que je rejoins tous les âges du primaire, de la maternelle à la sixième année», raconte le prolifique auteur, qui a publié son premier livre pour enfants en 1978 comme illustrateur, et qui est passé à l'écriture en 1995 avec Noémie - pour lequel il a d'ailleurs remporté le prix du Gouverneur général.

C'est vrai qu'un grand nombre de personnages habitent l'imaginaire de Gilles Tibo: Simon, Choupette, Le petit géant n'en sont que quelques-uns, et s'ils ont tous été importants, ces épisodes sont terminés. Alors que Noémie, elle, est toujours là... même si l'auteur avait dit il y a quelques années qu'il réévaluerait l'avenir de son personnage rendu au vingtième livre. «Finalement, la question ne s'est pas posée parce que j'ai encore des choses à dire. J'ai créé Noémie en m'inspirant de ma fille (qui a aujourd'hui 23 ans) et de sa copine, et pour moi elle est vivante. C'est souvent elle qui décide de ce qui va lui arriver, elle prend le contrôle de mon cerveau...»

À tel point qu'il est déjà en train d'écrire le vingt-cinquième «Noémie», et que ce sera un roman triple! Organisé et discipliné, Gilles Tibo est une véritable machine - mais pas «une machine à saucisses», précise-t-il- qui mène plusieurs projets en même temps, et passe d'un univers à l'autre avec facilité. «Chaque personnage est un voyage. Parfois, je range une histoire dans un tiroir de mon ordi, pour ne la ressortir qu'un an plus tard. Comme j'écris beaucoup d'avance, ça me permet de retravailler mes textes, de les enrichir, d'écouter les critiques...»

Pour Gilles Tibo en effet, pas question de bâcler son ouvrage, qu'il écrive un roman pour ados ou un album, dont il compare l'écriture à celle d'une chanson. La preuve dans les livres, rythmés et rigolos, de son hilarant antihéros Nicolas, joyeusement illustrés par Bruno St-Aubin et traduits, entre autres, en anglais et en coréen. «Beaucoup de choses devraient encore débloquer de ce côté en 2011.»

Malgré son sens de l'organisation, Gilles Tibo affirme pourtant ne pas écrire avec son cerveau. «Je dis souvent aux enfants que j'écris avec mon coeur, mon ventre, mes pieds ou mes mains, mais surtout pas avec ma tête.» Sa méthode: surtout, ne pas faire de plan. «Je pars avec un thème, mais je ne sais jamais ce qui va arriver. Je me mets en état de surprise permanente. J'aime me coucher le soir en me demandant ce qui arrivera dans mon histoire le lendemain.»

Le résultat est une écriture vivante et dynamique qui donne l'impression aux jeunes lecteurs de «vivre» l'aventure avec Noémie. Tellement qu'ils inventent parfois des péripéties que l'auteur n'a jamais écrites! «Elle a vraiment une vie à elle, et les enfants la considèrent comme leur amie.»

Sûrement le plus grand compliment qu'on peut faire à Gilles Tibo, qui voit sa relation avec les enfants comme un échange. Ont-ils changé depuis ses débuts? «Je dirais qu'ils sont plus allumés. Ce sont de véritables boules d'énergie! Ce qui a changé dans notre rapport, c'est que maintenant, ils connaissent les auteurs québécois, ils demandent à nous lire, ce n'est plus imposé par les professeurs.»

Fragile

Gilles Tibo vit de sa plume et s'estime choyé par la vie, mais il constate que le monde de l'édition est dans une posture très fragile. «Les ventes ont diminué de 30% dans la littérature jeunesse, c'est beaucoup. En ce moment, j'ai cinq livres qui sont bloqués parce que tout le monde publie moins. On est dans une période de transition avec l'arrivée du livre numérique, on dirait que tout le monde est en attente. Probablement que ça prendra de nouveaux éditeurs, des jeunes, pour que le virage se fasse.»

Il ne sait pas ce qu'il arrivera d'un «dinosaure» comme lui, mais ça ne l'empêche pas de s'installer tous les jours devant son ordi après une séance de méditation. «Je reviens à l'essence de ce que je suis, c'est-à-dire le vide! rigole-t-il, ajoutant qu'il est habité par 1000 choses. Ça me permet de voir clairement le flash quand il arrive. Ensuite, quand j'écris, je suis totalement dans le présent, je suis avec Noémie à 100%.» Avec comme seul objectif de se laisser surprendre par son personnage.

«Il n'y a pas de message souligné dans Noémie, parce que Noémie, c'est la vie. Le seul message, c'est celui de l'amour et de la tendresse. Dans la vie des jeunes d'aujourd'hui, tout va vite, ils n'ont plus de temps, ils n'ont plus de place pour se déposer. Le livre peut servir à ça.»