Enlisé dans ses études, célibataire chronique incapable d'approcher la créature de ses rêves, graffiteur tout juste bon à dessiner des crânes (sujet surexploité s'il en est): à 22 ans, Pierre-Luc, alias Luck, a besoin de donner un sérieux coup de barre à sa vie s'il ne veut pas finir doyen du collège.

C'est avec ce personnage de grand adolescent attardé refusant d'entrer dans la vie adulte que le Québécois Michel Falardeau a réussi à séduire son nouvel éditeur, et pas le moindre: Dargaud. Les bédéistes d'ici publiés de l'autre côté de l'étang ne sont pas légion: Delaf et Dubuc (auteurs des Nombrils), les dessinateurs Jacques Lamontagne et Djief.

Pour ses premiers pas outre-Atlantique, Michel Falardeau a eu droit à un traitement royal: un album cartonné de 126 pages. Rien de moins.

«J'ai présenté quatre ou cinq projets à Dargaud et ils ont choisi Luck; la plus courte et la plus réaliste de mes histoires», explique le bédéiste natif de Notre-Dame-du-Lac, au Témiscouata.

Michel Falardeau a surtout aiguisé sa plume avec des histoires fantastiques aux atmosphères étranges, comme Mertownville, sa série la plus connue. Luck tranche nettement avec le genre. Le ton est urbain, collé aux réalités adolescentes: le quête de sens, l'avenir incertain, les amours maladroites... et l'humour salvateur (qui filtre tout au long du récit).

Pour créer son personnage de graffiteur en pleine crise existentielle, le bédéiste de 30 ans avoue avoir puisé dans son propre passé: «Luck, c'est un peu moi; le jeune adulte-ado idiot que j'ai pu être. Comme lui, j'ai raté mes études en arts plastiques. Je pouvais passer pour un bum un peu révolté. J'étais perdu, moi aussi. Mais Luck a le courage que je n'avais pas. Il est éperdu d'amour pour Julie, ce qui le paralyse. Mais quand il est obligé de réagir, il ne se fait pas marcher sur les pieds. C'est moi, en version améliorée!»

Il a du caractère, ce Luck. Mais c'est aussi un rêveur. L'album est ponctué de plusieurs scènes (trop, peut-être) où le personnage se laisse aller à la rêverie, au fantasme... «Je voulais m'éclater, lance l'auteur. Ces scènes permettent de partager les idées de Luck, d'aller plus loin dans son intimité. Et ça m'a donné l'occasion de dessiner des gorilles géants!»

Étant donné les yeux surdimensionnés des personnages, l'économie de détails dans les décors, les couleurs tranchées, la parenté avec les mangas japonais est frappante. Michel Falardeau s'en défend. «Je suis surtout inspiré par le dessin animé. J'ai grandi avec lui, je l'ai étudié, j'ai travaillé dans une boîte de jeux vidéo. Côté bédé, mon inspiration est plus européenne. Je lisais les Philémon de mon père à 5 ans.»

Ce qui explique peut-être une partie des délires oniriques de son personnage...

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Luck. Michel Falardeau. Dargaud, 126 pages, 22,95 $.