Après des décennies de féminisme, on ne voudrait pas que nos petites chéries s'identifient à des modèles négatifs, qu'elles troquent la jeune fille soumise contre une mondaine jalouse obsédée par les marques et l'argent. Or, rassurons-nous, les poulettes de la chick lit pour adolescentes n'ont pas toutes les valeurs des riches new-yorkaises superficielles dépeintes dans la série à succès Gossip Girl.

Dans un marché de littérature jeunesse en plein boom, les succès commerciaux dictent les tendances: à côté des romans fantastiques et de vampires, et peut-être aussi des «histoires de peur», la chick lit pour adolescentes (littérature de filles ou poulettes!) connaît un succès certain, si l'on se fie à l'espace qu'elle occupe en librairie.

À quoi la reconnaît-on?

À la couverture aux couleurs bonbon représentant souvent une demoiselle, de la plus cartoonesque à la plus top modèle? Si elle rebute les garçons de 15 ans mais que les princesses de 5 ans ouvrent de grands yeux, vous êtes presque certain d'avoir mis le doigt dessus.

Bien sûr, les influences sont multiples et il peut être réducteur de classer les romans dans des genres hermétiques, d'autant plus que la chick lit est pour certains synonyme de littérature féminine légère et bassement commerciale.

Le genre regroupe autant les petites soeurs gaffeuses et délurées de Bridget Jones que les méchantes filles riches et superficielles à la Gossip Girl. Souvent sous la forme d'un journal intime, les premières racontent avec humour et auto-dérision leur train-train quotidien, leurs échanges avec leur meilleure amie, leurs premiers émois amoureux. Les secondes tissent des intrigues dans un monde où la mode, l'apparence, l'argent et le statut social sont les valeurs dominantes.

Toutes font référence à des degrés divers à la culture populaire, à des tendances, produits, groupes ou émissions ou à la mode. Conséquence: comme ceux pour adultes, les romans de chick lit pour ados ont souvent la particularité d'être très datés.

Les filles aiment et achètent les histoires de vampires? Les romans d'amour? Le glamour des riches et célèbres? Des auteures américaines leur concoctent des livres sur une agence de rencontre pour vampires chic de Manhattan (Vamp in Love, Fleuve noir) ou sur une top modèle vampire mêlée à une guerre de clans (Les Sang-d'Argent, Albin Michel)!

Les séries télé, le cinéma, les magazines et la mode bombardent les jeunes filles de messages contradictoires, leur dictant d'être belles, populaires ET intelligentes. Selon certains spécialistes, elles n'auraient pratiquement plus que les livres pour trouver des modèles différents ou qui remettent en cause les normes de féminité imposées. Sans compter que les romans destinés aux adolescentes sont souvent lus par des pré-ados, qui vivent par procuration les affres de l'adolescence. Et que lorsqu'ils sont bien faits, les romans peuvent aussi aider les lectrices à réfléchir à ce qu'elles vivent.

Des héroïnes réalistes

Chargée de cours en littérature jeunesse à l'Université Laval, Marie Fradette a consacré sa thèse de doctorat, De la jambe poilue au nombril percé, au roman pour adolescentes québécois de 1940 à 2000. Sa conclusion? «Depuis 1939, le discours social qui se dégage de ces oeuvres offre une vision normative de l'adolescence et s'accorde avec le discours dominant en vigueur, faisant ainsi de ce genre littéraire un garde-fou d'une jeunesse tiraillée par de multiples messages.»

L'héroïne type est passée d'un modèle idéalisé, bien mise et respectueuse dans les années 40-50, à un modèle plus sympathique dans les années 80 puis à un modèle plus réaliste dans les années 90, a-t-elle constaté. Dans les années 90, elles sont plus ordinaires, «beaucoup plus près des ados réelles que dans les années 80, où les héroïnes avaient une certaine retenue dans leur façon d'être», souligne Marie Fradette. Elles avaient aussi des pratiques culturelles plus «nobles», ne lisaient pas des magazines pour ados.

Depuis une dizaine d'années, il y a eu toute une évolution. «Une héroïne comme Aurélie Laflamme est encore plus réaliste», estime-t-elle.

De façon générale, dans le roman québécois pour adolescentes, la jeune fille est plutôt ordinaire dans son habillement et son comportement. Plus individualiste qu'autrefois, elle a des valeurs encore très judéo-chrétiennes, la famille, l'amour, l'amitié. «Elles vont se prendre en main, faire des choix. Mais c'est encore dans les yeux du super beau gars de l'école qu'elles vont se trouver belles. On est beaucoup dans la quotidienneté: l'école, les voyages, les amis, l'amour», note Mme Fradette.

Jusqu'à récemment, la «pitoune», c'était l'autre, souvent la rivale. Et quand il y avait un problème grave, c'était la fille très sexy qui allait y goûter, punie pour ses mauvaises actions.

D'ailleurs, ne serait-ce pas ce qui hérisse dans la chick lit à la Gossip Girl: désormais, les héroïnes peuvent aussi être les belles filles superficielles? Chose certaine, on est loin du narrateur Dieu d'autrefois qui donnait des commentaires sur l'héroïne lisant des livres défendus: «Voyez ce qu'elle a fait, le mal en elle...» «Aujourd'hui, c'est beaucoup plus subtil!» glisse Marie Fradette.

«Dans la chick lit, les personnages ne sont pas très profonds, très développés comme dans le roman-miroir. On ne traite pas des problèmes avec le même ton, la même profondeur. C'est l'influence de la littérature de consommation sur le roman jeunesse», souligne en entrevue Daniela Di Cecco, professeure de littérature jeunesse et féminine du monde francophone à l'Université de Caroline-du-Sud. «À mon avis, les meilleurs romans pour adolescentes ne sont pas ceux-là. Ce sont ceux qui parlent d'émotions, qui arrivent à traiter avec plus de profondeur des difficultés de l'adolescence.»

«Par contre, dans le roman-miroir québécois, je remarque plus d'héroïnes qui réfléchissent beaucoup à leur vie d'adolescentes et de femmes à venir. On voit un modèle plus égalitaire, des héroïnes qui sont plus autonomes, indépendantes. Le féminisme est beaucoup plus présent dans le roman québécois que dans le roman français», a constaté Mme Di Cecco, qui a publié en 2000 Entre femmes et jeunes filles. Le roman pour adolescentes en France et au Québec.

Autre particularité, la sexualité serait traitée de manière beaucoup plus claire et explicite que dans les romans français. «Dans le roman québécois, il y a une volonté d'aborder certaines choses comme la première expérience sexuelle, le désir féminin, l'importance d'affirmer son désir et ne pas être que l'objet du désir de quelqu'un d'autre», poursuit la spécialiste.

Méchantes, les filles?

Depuis moins de 10 ans, la publication aux États-Unis d'essais comme Queen Bees and Wannabes et Odd Girl Out, traitant du phénomène des cliques, de la violence et de l'intimidation chez les adolescentes, a entraîné la production de plusieurs romans américains (et de films) traitant du même problème, souligne Daniela Di Cecco.

C'est le cas de Gossip Girl, dont le succès commercial a inspiré d'autres romans américains du même genre. «On va parler de méchanceté chez les filles, mais cela va rester une histoire de méchanceté et de revanche, mais pas de vraie souffrance comme Ta voix dans la nuit, de Dominique Demers.»

«Dans les années 80, c'était les romans à l'eau de rose, genre Harlequin, qui ont entraîné des équivalents pour adolescentes et préadolescentes», indique Mme Di Cecco.

Au Québec, les éditions Héritage ont publié à cette époque la collection Coeur à coeur, des romans traduits de l'américain. Dans le cadre de sa maîtrise à l'Université de Sherbrooke, Joanie Corbin s'y est intéressée. S'ils se rapprochent des romans populaires actuels par les situations et les préoccupations, le ton diverge largement, observe-t-elle. «L'héroïne des romans chick lit est beaucoup plus délurée que l'héroïne Coeur à coeur. La première est dynamique, désinvolte et effrontée, tandis que la seconde est conservatrice et réservée.»