Romancier, ex-prof de philosophie au cégep, Thomas O. St-Pierre en a contre ceux qui détestent notre époque, qu'il appelle les «modophobes», et qui cultivent la nostalgie d'un âge d'or où tout était supposément mieux. Or, détester l'époque, affirme-t-il, c'est aussi détester les jeunes. À partir de la figure de Miley Cyrus, symbole, à ses yeux, de la jeunesse et de ses excès, ce jeune trentenaire propose de regarder lucidement nos travers pour en finir une fois pour toutes avec le mépris.

Thomas O. St-Pierre plaide coupable. Comme bien des gens, lui aussi avait tendance à regarder les jeunes de haut, à se dire, intérieurement, que tout ce qui allait mal dans la société à l'heure actuelle était un peu leur faute. Bien qu'il ne soit pas très vieux lui-même (début trentaine), ce romancier a été assez lucide pour réaliser qu'il avait tout faux. D'où l'idée de ce livre pour décortiquer cette fâcheuse tendance que nous avons tous, à certains degrés, à jeter sur «les jeunes» la responsabilité de tout ce qui va mal autour de nous.

«Dès qu'il y a un problème, on sous-entend qu'il est récent. On dit "de nos jours", on évoque une espèce d'âge d'or où ces problèmes n'existaient pas», souligne Thomas O. St-Pierre, joint au téléphone à Québec.

Absence de communication, omniprésence des réseaux sociaux, narcissisme, égoïsme, désengagement, drogue, sexualité débridée... la liste des maux de notre époque est longue et, bien sûr, c'est toujours la faute des autres, en particulier des jeunes.



C'est la faute de Miley

Pour bien incarner son propos, cet ex-professeur de philo au cégep Montmorency a choisi la figure de la chanteuse populaire américaine Miley Cyrus. «L'époque avec un E majuscule, c'est un peu abstrait, reconnaît St-Pierre. Ça ne parle pas aux gens qui n'ont pas l'impression de détester l'époque. C'est pourquoi j'ai choisi Miley Cyrus. Quand j'ai commencé à réfléchir à mon livre, autour de 2013 ou 2014, elle venait de faire paraître son album Bangerz. On suit Miley depuis qu'elle est jeune, depuis Hannah Montana. Puis, on l'a vue adolescente, en rébellion. Elle a été au coeur de quelques scandales, elle s'est tatouée, s'est teinte en blonde. Aujourd'hui, elle s'est assagie et j'imagine que dans quelques années, elle aura des enfants. Son évolution suit la courbe de mon propos. Et puis, je trouvais que son nom sonnait bien.»

Entendons-nous, ce n'est pas une biographie de la chanteuse ou une analyse de son oeuvre. L'auteur utilise Miley Cyrus comme symbole pour illustrer le mépris qu'on peut avoir à l'endroit d'une jeunesse qui se braque à l'occasion, et qui rejette les acquis de la génération précédente. Une condescendance qui, selon l'auteur, est plus facilement dirigée vers les jeunes femmes que les jeunes hommes. 

«Il y a un mépris automatique et facile pour les jeunes filles qui ont du succès, pour les chanteuses populaires. On a juste à faire la comparaison avec Justin Bieber qui a suivi un chemin un peu parallèle à celui de Miley Cyrus, note l'auteur. Il a commencé petit garçon très sage, très "Canadien", très propre et éventuellement, il s'est rebellé avec ses tatouages, ses frasques sexuelles, etc. Or il s'en est beaucoup mieux tiré que Miley Cyrus qui a pourtant le même chum depuis 10 ans. Mais parce qu'elle s'habillait de manière suggestive ou se frottait sur l'entrejambe d'un chanteur, elle se faisait traiter de traînée. C'est clair qu'il y a un double standard.»

Mais peut-on vraiment parler de haine envers les jeunes ou s'agit-il tout simplement du sempiternel conflit des générations, cette incompréhension qui s'installe, cette difficulté à communiquer qui est vieille comme le monde? «Le terme haine est fort, admet le romancier. C'est vrai que c'est intemporel, bien que je ne sache pas si on détestait autant les jeunes aux autres époques. Peut-être qu'il n'y a rien de nouveau à ce qu'une génération soit agacée par les plus jeunes. L'enjeu, ici, c'est le changement et la peur qu'il provoque.»

Pas si mal que ça

Thomas O. St-Pierre a enseigné aux cégépiens durant cinq ans. Dans son livre, il décrit des jeunes allumés qui n'ont rien à voir avec la caricature de larves analphabètes à laquelle on nous a habitués et qui est, elle aussi, source de mépris chez leurs aînés.

«On dit des jeunes qu'ils ne lisent plus, ne s'informent plus. Je ne sais pas comment étaient les étudiants avant, mais moi, quand j'ai commencé à enseigner, j'ai été surpris par leurs connaissances générales, par leur structure, leur discipline dans certains cas.»

«C'est sûr qu'il y a plein de monde qui n'est pas à sa place au cégep, ou qui est là pour les mauvaises raisons, poursuit-il. Mais en général, ma surprise a été plutôt positive. Je ne suis pas en mesure de dire s'ils sont plus ou moins cultivés, mais ce ne sont pas les "larves-écrasées-devant-leur-téléphone-intelligent-qui-ne-s'intéressent-à-rien" qu'on dépeint souvent dans les médias. Et en discutant avec mes collègues plus vieux, j'entendais souvent des commentaires dans le sens inverse, qui me disaient : "J'ai l'impression qu'ils sont plus cultivés qu'avant." Leur accès à l'information est très différent, c'est sûr. Ils ne sont pas moins cultivés, mais leur culture est différente. C'est une culture pour laquelle les plus vieux n'ont pas de références.»

Après nous, le déluge

Étrangement, le printemps érable est pour ainsi dire absent du brûlot de Thomas O. St-Pierre. Or n'est-ce pas là un des symboles d'un fossé générationnel entre les héritiers de la Révolution tranquille et leurs enfants? Les manifestants du printemps 2012 ont été traités d'enfants gâtés et leur grève, de caprice de bien nantis dans certains médias. N'est-ce pas là l'illustration d'une certaine haine de la jeunesse que l'auteur souhaite dénoncer?

«Pour moi, le printemps érable est un symbole fort, mais comparable aux autres, comme la musique. C'est un exemple parmi d'autres où les parents ont l'impression que les causes pour lesquelles ils se sont mobilisés sont devenues des normes personnelles. Ils considèrent que tout a été acquis et gagné dans les années 60 et 70. Forcément, pour eux, les jeunes descendent dans la rue pour des caprices, pas pour de bonnes raisons. C'est le syndrome du "On a tout gagné pour eux, on leur a déjà tout donné". La question de la mobilisation s'inscrit dans la même mécanique que le reste des choses qu'on ne comprend pas des jeunes.»

Miley Cyrus et les malheureux du siècle : Défense de notre époque et de sa jeunesse

Thomas O. St-Pierre

Atelier 10 (Documents 13)

105 pages

Image fournie par Atelier 10

Miley Cyrus et les malheureux du siècle : Défense de notre époque et de sa jeunesse, de Thomas O. St-Pierre