Haro sur l'Académie suédoise : les admirateurs de Philip Roth n'avaient pas de mots assez durs mercredi contre l'institution décernant le prix Nobel de littérature qui n'a jamais consacré l'oeuvre de l'écrivain américain.

«Avec Philip Roth, le Nobel de littérature est mort!», titrait carrément Albert Sebag dans l'hebdomadaire français Le Point.

Philip Roth, mort mardi à 85 ans, a été souvent donné parmi les favoris de la prestigieuse récompense, mais l'Académie suédoise sera jusqu'à la fin restée sourde aux suggestions d'une partie de la critique.

Ses archives regorgent de courriers des plus grands noms des lettres et de l'édition réclamant plus ou moins subtilement l'attention des académiciens pour eux-mêmes ou leurs pairs.

Rien ne dit que Philip Roth ait été de ceux-là.

«C'était devenu un gag pour lui. Chaque année on en parlait, c'était devenu drôle», a raconté sur France Inter la journaliste et écrivaine Josyane Savigneau, qui était son amie.

Mais il a sans nul doute été proposé à de multiples reprises parmi les 350 «candidatures» reçues chaque année par l'Académie. Impossible néanmoins d'en avoir le coeur net: ses délibérations demeurent secrètes pendant 50 ans.

Alors pourquoi Bob Dylan (2016), Patrick Modiano (2014) ou Dario Fo (1997) ont-ils été couronnés et pas l'auteur de Portnoy's ComplaintThe Breast ou The Human Stain?

«Il y a 300 écrivains dans le monde qui méritent le prix, mais un seul le reçoit chaque année», explique simplement Madelaine Levy, responsable des pages cultures du quotidien suédois Svenska Dagbladet.

«Vieux suédois pervers»

En 2012, la critique française Nelly Kapriélian avait réagi de la sorte en apprenant l'attribution du Nobel au Chinois Mo Yan.

«Le Nobel de littérature n'est pas une affaire sérieuse. C'est tout au plus un running gag, fomenté par un gang de vieux suédois pervers décidés à tuer Philip Roth à petit feu en récompensant à peu près tout le monde et n'importe qui, sauf... lui».

«Le Nobel a quand même raté beaucoup de grands écrivains, n'est-ce pas? Proust, Joyce... je ne ferai pas toute la liste», relève Josyane Savigneau.

Sur le fond, Madelaine Levy suggère que «l'air du temps» ne lui était pas favorable.

«On peut le voir comme le représentant d'une vision masculine du monde que le mouvement #MeToo tente de briser (...) pour que le regard des femmes sur la sexualité perce», dit-elle.

Pour Christine Jordis, écrivain, éditrice pendant 20 ans de Roth chez l'éditeur Gallimard, Roth était «trop politiquement incorrect».

«Les Nobel ont dû être un peu effrayés par un écrivain qui était aussi réfractaire, aussi rebelle, aussi violent dans ses positions contre la pensée toute faite en une époque où (elle) domine», a-t-elle déclaré.

Roth a été «le non-lauréat annuel du prix Nobel de Littérature», a ironisé le philosophe français Alain Finkielkraut. «Il a payé ainsi l'accusation de misogynie qui a été portée contre lui après la parution de My Life as a Man. C'est un scandale absolu qui discrédite de façon définitive à mes yeux, le jury de Stockholm», a-t-il déclaré au Monde.

Pas de prix posthume

Les statuts imposent que le lauréat ait écrit une oeuvre dans l'année. Or même si ce point n'a pas forcément toujours été respecté, Philip Roth avait annoncé en 2012 qu'il cessait d'écrire après avoir publié 31 ouvrages et deux ans après son dernier roman, Nemesis.

La polémique Roth tombe au plus mauvais moment pour l'Académie. Plus que bi-centenaire, elle tente de se reconstruire à la suite du scandale #MeToo qui a révélé ses liens compromettants avec un Français, figure de la scène culturelle de Stockholm, et soupçonné de multiples agressions sexuelles et viols.

«Les pauvres, non seulement ils sont complètement à la ramasse à cause de l'histoire qui leur est arrivée, mais en plus ils n'auront jamais plus l'honneur de distinguer Philip Roth. C'est vraiment triste pour eux, pas pour lui», a déclaré mercedi l'écrivain et critique Pierre Assouline.

Victime d'une hémorragie de membres démissionnaires, l'Académie a annoncé début mai que le Nobel 2018 ne serait pas décerné cette année, mais en même temps que le lauréat 2019.

Quant à savoir si le prix pourrait lui être décerné à titre posthume, comme le réclame Albert Sebag, le testament Nobel l'interdit formellement.