Impossible de ne pas se reconnaître un peu dans Les fins heureuses, deuxième recueil de nouvelles de Simon Brousseau, où les confessions gênantes abondent, comme autant de petites vérités qu'on préfère cacher. Chaque fois avec l'impression que les personnages l'ont échappé belle - mais ce n'est pas parce que les fins sont heureuses qu'elles sont glorieuses.

Professeur au collège Jean-de-Brébeuf, Simon Brousseau a fait sa thèse de doctorat sur l'écrivain américain David Foster Wallace, dont le roman culte Infinite Jest a transformé sa vision de la littérature.

«Ç'a été une grande rencontre pour moi, dit-il. C'est un auteur très formaliste, difficile d'accès, qui parle toujours d'un point de vue existentiel. Il s'intéresse à la souffrance des personnages, aux relations humaines, et à la manière dont la littérature peut mettre les lecteurs dans une situation d'empathie. C'est quelque chose que j'ai appris en le lisant. L'écriture de ma thèse m'a permis de mieux comprendre ce que je voulais faire en tant qu'écrivain.»

Il est vrai qu'on ressent de l'empathie pour les personnages qui peuplent les fascinantes nouvelles des Fins heureuses, son deuxième recueil de nouvelles après Synapses, publié en 2016. On est tantôt ému, tantôt amusé, tantôt exaspéré par leurs tics, leurs manies et leurs obsessions.

C'est un nageur passif agressif qui écrit des missives anonymes à un autre nageur de sa piscine publique; une bande d'amis à leurs dernières parties d'un jeu de rôles auquel ils croient de moins en moins; un étudiant terrorisé à l'idée d'avoir tué un policier avec une boule de billard lors d'une manif en 2012 ; des jeunes un peu soûls qui craignent d'avoir un casier judiciaire après avoir vandalisé des pancartes électorales; un pauvre bohème sans le sou qui se fait proposer un truc louche et tentant par son propriétaire... Tous sont bourrés de défauts très humains, dont ils ont honte, généralement.

Le recueil est traversé par des chapitres d'e-confessions, où des internautes anonymes racontent ce qui leur fait le plus honte d'eux-mêmes, et ça va d'être cheap quand vient le temps de payer une tournée de bière à tricher au sudoku et jusqu'à ne pas aimer son propre enfant.

Bref, la honte ordinaire, que tout le monde préfère garder pour soi, est le grand thème du recueil Les fins heureuses, dont les nouvelles, comme le titre l'indique, ne finissent jamais vraiment mal, mais n'ont aucune conclusion très glorieuse. «Je considère que les confessions sont la partie la plus importante du livre, je reprends un peu la forme brève dans Synapses. C'est mon côté un peu moraliste, j'aime lire La Rochefoucauld.»

«La honte, c'est quelque chose qui m'intéresse. C'est comme un truc régressif, circulaire, le personnage pris dans sa boîte crânienne, qui veut changer, mais qui n'en est pas capable.»

Trouver sa forme

Différentes formes sont utilisées dans Les fins heureuses, comme la correspondance, le journal intime ou les e-confessions. «J'aime les formes d'écriture au quotidien, des formes que les gens pratiquent, mais qui ne sont pas des formes d'écrivain», dit-il, ajoutant qu'il admire le travail de Lydia Davis et de Nicholson Baker.

Un autre écrivain qui a marqué Simon Brousseau est Mathieu Arsenault, auteur de Vu d'ici et de La vie littéraire, l'un des fondateurs de l'Académie de la vie littéraire qui donne des prix aux écrivains les plus originaux ignorés des grands prix ou de la critique. Académie qui a d'ailleurs récompensé Simon Brousseau pour Synapses l'an dernier. Le choix de l'écriture en fragments, de plus en plus répandue en littérature québécoise, lui vient un peu de lui. 

«Avant d'écrire mon premier livre, j'ai écrit des débuts de roman, mais ça ne marchait vraiment pas, je pensais que je ne serais jamais capable d'écrire et ça me déprimait, raconte-t-il. J'ai eu une discussion avec Mathieu Arsenault qui pratique le fragment et qui m'avait raconté qu'au début, il essayait d'écrire un roman à la Kafka, mais que "c'était de la marde", ce qu'il faisait! Il est devenu écrivain quand il a réalisé qu'il ne pouvait présenter que sa propre forme. Le déclic, pour moi, s'est vraiment fait à ce moment-là. Ce qu'on fait est très différent, mais ça m'a en quelque sorte autorisé à écrire. Mathieu, c'est un modèle, qui montre qu'on peut trouver sa place en littérature.»

La dernière nouvelle du recueil Les fins heureuses, peut-être la plus touchante, tâte un peu l'anticipation, avec le journal d'un homme qui a découvert - délire-t-il ou a-t-il raison? - que la fin du monde était inévitable, dans un avenir rapproché. Et c'est d'ailleurs vers quoi Simon Brousseau va se tourner dans son prochain livre, qu'il annonce comme un roman d'anticipation. «Je m'intéresse à l'imaginaire de la fin, dit-il, fasciné par l'ambiguïté que cela permet. Parfois, dans mes nouvelles, l'histoire est résolue, mais rien n'est terminé, la fin est ouverte. Mais la vie est un peu comme ça, non?»

Les fins heureuses

Simon Brousseau

Le cheval d'août

197 pages