Imaginez suivre un atelier de cuisine à votre bibliothèque locale, ou encore emprunter un outil de jardinage ou réserver un local pour répéter avec votre groupe de musique.

Tout cela sera possible à la bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec, qui sera rénovée au coût de 40 millions d'ici à 2021. Elle deviendra l'une des bibliothèques les plus avant-gardistes d'Amérique du Nord, représentante de ce que les experts appellent la troisième génération des bibliothèques. Il s'agit d'un modèle qui pourrait bien s'étendre à la grandeur de la province.

«L'idée n'est pas de se démarquer à tout prix. L'idée, c'est de se demander comment on reste pertinent, dans le milieu des bibliothèques, mais aussi dans notre ville, explique la directrice du projet à la Ville de Québec, Mylène Gauthier. Le but n'est pas d'aller copier un modèle à l'étranger, mais d'aller plus loin. On construit pour longtemps.»

La bibliothèque Gabrielle-Roy a déjà été le joyau du réseau des bibliothèques de Québec. Mais l'institution du quartier Saint-Roch a vieilli depuis son inauguration en 1983. La Ville a donc décidé de lui refaire une beauté: un concours d'architecture a été remporté par le consortium Saucier + Perrotte et GLCRM.

L'ossature du bâtiment sera conservée et agrandie. Son enveloppe sera refaite à neuf. Mais le projet est plus qu'un simple lifting. Les concepteurs de la future bibliothèque Gabrielle-Roy ont mené une réflexion profonde sur l'avenir de la bibliothèque à l'heure numérique.

Mylène Gauthier a notamment voyagé aux Pays-Bas pour voir comment le pays avait mené la refonte de ses bibliothèques dans les années 2000. Elle a étudié ce qui se faisait en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves.

Quelles sont les tendances dans le monde de la bibliothèque? À l'heure où le livre est de plus en plus dématérialisé, celle-ci se tourne vers d'autres formes de savoir.

«On veut mettre en valeur nos collections. Mais on veut aussi mettre en valeur le savoir de la communauté, celui qui vient à force d'échanger, de bidouiller, d'expérimenter. C'est vers ça qu'on est allés. On est audacieux, mais en même temps, c'est ça la mission de base des bibliothèques, de donner accès au savoir sous toutes ses formes», explique Mylène Gauthier, directrice du projet de modernisation de la bibliothèque à la Ville de Québec.

Gabrielle-Roy deviendra donc l'une des rares bibliothèques munies d'une cuisine. Elle sera utilisée pour des ateliers. «On pourrait organiser des ateliers de cuisine pour adolescents, par exemple, ou des ateliers de cuisine multiculturelle, où une communauté est invitée à faire goûter des mets de son pays d'origine, ou un chef du quartier qui vient faire une démonstration», illustre la responsable du projet de modernisation.

La bibliothèque va aussi faire du prêt d'outils. Ses sections seront appelées des «foyers». Ainsi, le concept prévoit qu'il sera possible d'emprunter des outils de jardinage dans le foyer nature, ou même des outils de cuisine dans le foyer culinaire.

Gabrielle-Roy aura aussi des studios pour jouer de la musique, une joujouthèque pour emprunter des jouets et une artothèque qui prêtera des oeuvres d'art.

À noter que la collection de livres ne sera pas amputée. La bibliothèque sera agrandie pour accueillir ses nouvelles fonctions.

Troisième génération

Le concept de Gabrielle-Roy est «innovant», mais il pourrait bien devenir la norme d'ici quelques années, selon une experte.

«L'un des défis de la bibliothèque du XXIe siècle est un défi documentaire. C'est-à-dire que le livre papier n'est plus l'unique repère de la bibliothèque. Il y a les jeux, les films, et ça peut aussi être des outils si tel est le besoin de la communauté, explique Marie Martel, professeure adjointe à l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal. Des gens sont parfois surpris par le prêt d'outils. Mais le livre est une autre forme d'outils.»

image fournie par la Ville de Québec

La bibliothèque Gabrielle-Roy fera partie de ce que l'experte qualifie de «troisième génération» de bibliothèques. 

La première cherchait à créer des lieux d'échanges, en intégrant un café, par exemple. La deuxième a ajouté des espaces communautaires. La troisième génération, celle qui s'en vient, greffe à la bibliothèque des espaces de création.

«C'est une bibliothèque qui essaie de faire en sorte d'aborder le passage des collections aux connexions. Avant, c'était axé sur le livre, les collections. Maintenant on axe sur la communauté, le social et l'humain. Pas seulement donner accès, mais aussi les outils.»

La bibliothèque veut devenir en quelque sorte un troisième lieu, celui que l'on fréquente en dehors de la maison et du travail. «C'est plus qu'une boîte avec des livres», résume Alicia Despins, membre du comité exécutif et responsable de la culture à la Ville de Québec.

Devenir ce troisième lieu n'est toutefois pas gagné. Sur papier, le concept de Gabrielle-Roy est séduisant: ce lieu de connexions, de rencontres entre les gens et les communautés en plein centre-ville de Québec. Mais dans les faits, rappelle Marie Martel, le danger qui guette ces bibliothèques de l'avenir est le même que celui qui a affligé celles du passé: le sous-financement.

«L'envers de la médaille, c'est que l'on construit des bibliothèques, mais il faut payer le fonctionnement. Au Québec, on est très, très, très en retard dans la manière d'équiper en personnel ces belles bibliothèques-là, nuance Mme Martel. Ces espaces-là ne vivront pas d'eux-mêmes. Il faut des gens pour animer la communauté.»

La modernisation de Gabrielle-Roy avait d'ailleurs suscité un débat dans la dernière campagne électorale municipale. Le chef de l'opposition, Jean-François Gosselin, promettait de tuer dans l'oeuf le projet de modernisation de la bibliothèque s'il était élu. «C'est une folie de grandeur de Régis Labeaume», accusait M. Gosselin, qui parlait de «Taj Mahal».

image fournie par la Ville de Québec