David Bélanger vient tout juste de terminer à l'UQAM sa thèse de doctorat, qui porte sur la littérature québécoise contemporaine. Et, selon certaines de ses conclusions, elle est devenue «une sous-culture de geeks institutionnalisée», profondément marquée par la rupture.

Il représente bien le genre d'étudiant brillant, un peu éclectique et boulimique de lecture, qui hante les corridors de l'UQAM. Il deviendra sûrement professeur et on se dit que ses étudiants vont bien s'amuser dans ses cours avec son bagout.

Mais pourquoi veut-on, à 28 ans, faire une thèse de doctorat sur la littérature québécoise? «Parce que c'est une littérature que je connaissais bien, surtout celle qui m'était contemporaine, explique-t-il. J'avais un discours sur cette littérature-là.»

Le titre de sa thèse? «Une littérature appelée à comparaître». Il a remarqué la multiplication des personnages d'écrivains, de professeurs, d'éditeurs et d'un discours sur la littérature dans les fictions contemporaines. «Ce qui est fascinant avec cette littérature-là, c'est qu'on dirait qu'elle se sent obligée de toujours parler pas nécessairement d'elle-même, mais de sa propre représentation. On fait de la littérature, on est conscient de faire de la littérature, on s'adresse à l'institution qui la fait, mais on ne sait pas exactement c'est quoi, la littérature, et personne autour de nous ne convient de son importance.»

Et elle devient une littérature de maniaques de littérature, en quelque sorte. «Exactement. C'est ce que je dis dans ma thèse: la littérature est devenue une sous-culture de geeks institutionnalisée. Il y a des geeks qui se rencontrent pour parler de Pokémon ou de films d'horreur de série B, et il y a les geeks de littérature, qui ont des diplômes, des prix, des chroniques... C'est une classe sociale avec un ensemble de valeurs partagées, mais non partagées par le reste de la société, et c'est ça que les oeuvres mettent en scène.»

Filiation rompue

Si autant d'étudiants semblent s'intéresser particulièrement aux oeuvres contemporaines, selon lui, c'est lié à une urgence d'archiver le présent. «Il se fait tellement de choses, il y a tellement de bruits, il faut quasiment être archéologue de ce présent-là, quand il se publie 1000 livres par année.»

«C'est aussi générationnel : dans les années 2000, beaucoup d'écrivains prenaient la parole pour la première fois, on avait l'impression d'une nouvelle littérature. Tout ça a créé une sorte de mission.»

Parce qu'au tournant des années 2000, d'importantes voix ont disparu ou changé, fait-il remarquer. «Il s'est passé quelque chose avec le silence de Ducharme, la mort d'Anne Hébert et le virage américain de Marie-Claire Blais.»

Et depuis, il n'y a plus de grandes figures tutélaires qui dominent le paysage, qui font école, qu'on tente de copier. Les voix se sont multipliées.

«J'ai l'impression que l'histoire de la littérature québécoise depuis 2000, c'est le refus d'une histoire de la littérature québécoise. On ne veut pas la faire. Notre histoire littéraire a tellement été liée à l'identité nationale, mais comme elle n'est plus d'actualité... On est dans la porosité, dans l'hétérogénéité, dans l'éclatement. On dirait que les oeuvres ne veulent pas être dans une ligne, et si on est dans une filiation, c'est dans une filiation rompue. On est dans une rupture, et même une rupture de la rupture.»

Il croit voir un essoufflement en ce moment, la possibilité qu'un âge d'or soit même passé. «J'ai l'impression que c'est allé tellement vite, qu'il y a moins d'effervescence, mais c'est peut-être juste parce que je suis fatigué en terminant mon doctorat!»