Elles sont apparues dans les années 2000, et la littérature québécoise n'a plus jamais été la même.

Marchand de feuilles

Année de fondation: 2001

Éditrice: Mélanie Vincelette, 43 ans

Titres marquants: La fiancée américaine d'Éric Dupont, tous les romans de Suzanne Myre, La femme qui fuit d'Anaïs Barbeau-Lavalette

Dans quel esprit avez-vous fondé votre maison d'édition?

J'étais extrêmement rebelle, car j'avais seulement 26 ans. J'ai fondé Marchand de feuilles en 2001 à une époque où le monde de l'édition était fortement lié au monde universitaire. Les éditeurs somnolaient un peu et produisaient des livres sages, syntaxiquement corrects, souvent minimalistes. Tout semblait respecter la règle des trois unités. Je ne me reconnaissais pas du tout dans cette production, car j'avais visité quatre continents et mes références étaient des écrivains maximalistes comme Rushdie, des femmes transfuges comme Duras, des fous comme Thomas Pynchon. Ceci doublé du fait qu'à l'époque les éditeurs publiaient très peu de premiers romans; c'était donc impossible pour les jeunes auteurs de trouver un éditeur. Tout cela était suffisant pour souffler sur ma braise et allumer le désir de fonder une entreprise. Je voulais découvrir de nouveaux talents qui s'arrimaient à mon idéal littéraire et chaque fois partir de zéro avec un auteur et bâtir une oeuvre, affûter sa voix. Je suis coupable d'avoir énormément rajeuni le visage de la littérature au Québec. Et maintenant, presque 20 ans plus tard, je fais le chemin inverse en m'intéressant à l'âge d'or avec le livre Vivre cent ans, par exemple.

Comment voyez-vous la littérature québécoise d'aujourd'hui?

Le milieu est maintenant riche et diversifié. Depuis 2005, il y a eu déferlante, beaucoup de jeunes ont fondé des maisons d'édition. La littérature québécoise est maintenant plurielle, iconoclaste, postmoderne, névrotique, confessionnelle, tourmentée. J'adore. Elle plante ses griffes dans le territoire. Elle explore maintenant le nord sans retenue. Elle laisse la place à la parole des femmes, même s'il reste encore beaucoup de chemin à faire. Ce n'est plus le même milieu qui avait poussé Marie-Claire Blais à déménager aux États-Unis, car elle s'était fait écorcher à la sortie de son premier roman tellement c'était mal vu pour une jeune fille d'écrire un livre aussi puissant.

Mémoire d'encrier

Année de fondation: 2003

Éditeur: Rodney Saint-Éloi, 54 ans

Titres marquants: Bâtons à message / Tshissinuatshitakana de Joséphine Bacon, Kuessipan de Naomi Fontaine, Tout ce qu'on ne te dira pas, Mongo de Dany Laferrière.

Dans quel esprit avez-vous fondé Mémoire d'encrier?

Dans un esprit de combat. Pour trouver un discours non normatif, opérer un glissement dans la littérature québécoise que j'avais trouvée trop québécoise à mon goût. Je trouvais que le discours tournait autour de nous-mêmes, et moi, en tant qu'écrivain haïtien, j'avais mon mot à placer. Je devais entrer dans cette littérature québécoise qui s'était faite sans moi. Gaston Miron a dit : je suis arrivé à ce qui commence, et c'est comme un leitmotiv pour moi. Il faut intégrer la diversité. Quand je suis arrivé ici, je ne voyais pas les minorités visibles, les Amérindiens étaient complètement absents de la narration. Je me suis dit: je vais les emmerder, avec les Noirs, les Amérindiens, car s'ils entrent sur la scène littéraire, la littérature québécoise va devenir une grande littérature. Parce que le Québec est capable de regarder le monde. Il faut des emmerdeurs, sinon c'est trop tranquille.

Comment voyez-vous la littérature québécoise aujourd'hui?

Je pense qu'il y a une émergence. Les grandes maisons, c'est le silence; le meilleur à venir vient des petites maisons, qui ont une approche beaucoup moins conformiste, qui amènent le danger dans la littérature. Quand on voit les livres qui font vraiment l'actualité, ils viennent de Mémoire d'encrier, La Mèche, La Peuplade, Le Quartanier... Je sens une frénésie, un renouvellement de l'espace éditorial, un regard plus dynamique. Ce qui manque, c'est l'inclusion. Il faut toujours aller de l'avant, repousser les horizons. On doit parler de nos altérités et de nos ressemblances, c'est le rôle de la littérature d'aller vers la vérité, de ne pas aller vers le consensuel. Il faut refonder les histoires. Les auteurs envoient des signes à la société. Le racisme, l'exclusion, le vivre ensemble, les conditions noire et autochtone, comment peut-on prétendre écrire un livre d'histoire sans parler de ces littératures? La littérature, c'est une capacité de dépassement.

Le Quartanier

Année de fondation: 2003

Éditeur: Éric de Larochellière

Titres marquants: Parents et amis sont invités à y assister d'Hervé Bouchard, L'homme blanc de Perrine Leblanc, Arvida de Samuel Archibald, Testament de Vickie Gendreau, L'année la plus longue de Daniel Grenier et Le jeu de la musique de Stéfanie Clermont.

Dans quel esprit avez-vous fondé votre maison d'édition?

J'avais fini ma maîtrise en littérature, j'étais libraire depuis un bail et je vasouillais au doctorat. Je savais que je voulais être éditeur et vivre au milieu des livres. J'étais irréaliste forcément et très entêté, mais je n'étais pas seul dans mon coin. J'étais entouré de lecteurs, de poètes, certains étaient des clients de la librairie où je travaillais. Ce qui se publiait alors au Québec ne nous disait pas grand-chose, à quelques exceptions près; on lisait autre chose. Il y a eu la poésie et le roman américain, les avant-gardes historiques, P.O.L, Bourgois, le vivier bordélique de la poésie française contemporaine, les discussions, les rencontres, l'amitié. Et il y a eu mon intérêt de longue date pour l'étude de la langue, le travail formel dans l'écriture, l'aspect matériel et graphique du livre, la typographie. Tout ça a joué. C'était l'esprit général. Je voulais essayer de faire en édition autre chose que ce que je voyais au Québec. Ça a d'abord été en 2002 la revue de poésie C'est selon, et puis, dans la foulée, j'ai fondé Le Quartanier en 2003. La maison est donc née parmi une bande de poètes, étudiants et avides lecteurs: écrire, lire et en parler était important pour nous. Ça l'est encore plus aujourd'hui, c'est le coeur de ce qu'on fait. Ça m'a toujours semblé une belle vie, et je n'en veux pas d'autres. 

Comment voyez-vous la littérature québécoise aujourd'hui?

Je serais bien en peine de la définir et n'en ai pas trop envie non plus. C'est l'arbre qui cache la forêt. La littérature québécoise actuelle, c'est surtout par le prisme du catalogue du Quartanier que je la regarde. Et puis, je me méfie des généralités maussades et des platitudes pétulantes, des listes de thèmes, des grands panoramas, à plus forte raison si c'est moi qui signe. Si je voulais résumer ce que je vois dans nos livres, il y aurait peut-être ceci: diversité des écritures poétiques, invention de langues littéraires qui ne s'écrivent plus sur les versants d'incompatibles «ou bien/ou bien» (ou bien l'oralité joualisante ou bien l'écriture artiste, ou bien le formalisme à tous crins ou bien la narration transparente, etc.), appropriation du territoire, importance du comique et de l'humour, hybridité générique et métafictionnalité, renouvellement de l'ambition romanesque et mise au ban critique et vigoureuse du roman comme genre premier, et ainsi de suite. Je m'arrête là : on voit bien que l'essentiel est ailleurs.

Alto

Année de fondation: 2005

Éditeur: Antoine Tanguay, 42 ans

Titres marquants: Nikolski de Nicolas Dickner, L'orangeraie de Larry Tremblay, Les Frères Sisters de Patrick deWitt, Ce que j'aime, c'est les monstres d'Emil Ferris.

Dans quel esprit avez-vous fondé votre maison d'édition?

J'ai eu la chance de côtoyer à travers mes collaborations dans différents médias plusieurs acteurs de la chaîne du livre. C'est en discutant avec plusieurs d'entre eux que j'ai pu poser les bases d'Alto, une maison qui se voulait, et se veut toujours, au confluent de plusieurs usages, inspirations et coutumes éditoriales. Pour être franc, je n'avais alors aucune idée où la publication de Nikolski (et des deux autres excellents romans Miles et Isabel et Point mort qui ont été peut-être noyés dans le sillage du roman de Nicolas Dickner) allait me mener, alors j'ai fait ce que j'ai fait toujours: j'ai fermé les yeux et foncé, laissant le flair me guider. Alto opère ainsi, avec un goût du risque et une envie toujours aussi forte de se renouveler au fil des saisons, de continuer à étonner, à détonner.

Comment voyez-vous la littérature québécoise d'aujourd'hui?

C'est une littérature forte et fière qui n'a pas à rougir sur la scène internationale. Je le constate à Francfort, comme à Paris ou Londres. Les voix sont fortes, les histoires, belles et intenses. Le public l'apprécie, et l'engouement actuel pour la littérature d'ici le démontre bien. L'écrivain québécois est une bête décidément fière, tenace et curieuse, ce qui est de bon augure pour tous les gens impliqués dans la dégustation, le partage, la diffusion et la promotion de notre littérature.

La Peuplade

Année de fondation: 2006

Éditeurs: Mylène Bouchard, 39 ans, et Simon Philippe Turcot, 36 ans.

Titres marquants: Le poids de la neige de Christian Guay-Poliquin, Nirliit de Juliana Léveillé-Trudel, Homo sapienne de Niviaq Korneliussen.

Dans quel esprit avez-vous fondé votre maison d'édition?

Nous avons fondé La Peuplade pour offrir un espace de création et de diffusion aux écrivains et artistes de notre génération. Nous souhaitions par ailleurs créer notre propre entreprise culturelle, alors que nous vivions dans un petit village du Lac-Saint-Jean, bien loin des grands centres urbains. Pari risqué certes, mais relevé, avec aujourd'hui près de 100 titres publiés, une diffusion dans toute la francophonie, et surtout de grandes voix littéraires qui s'élèvent.

Comment voyez-vous la littérature québécoise aujourd'hui?

Il y a un véritable renouveau dans la littérature québécoise depuis quelques années, tant du côté de la création, d'une grande diversité et d'une impressionnante richesse, que de l'édition où la manière de faire les livres, d'accompagner les auteurs, est devenue un gage de qualité. Tout comme le cinéma, la littérature d'ici a une identité très forte, déployant des voix qui ont du caractère, du rythme, du contenu.

Photo Marco Campanozzi, Archives La Presse

Éric de Larochellière, fondateur et éditeur du Quartanier