« Qu'est-ce qui se passe avec Maxime Olivier Moutier ? Il n'est pas rendu un peu mégalo ? » C'est la question que plusieurs journalistes de la section des Arts se sont posée lorsque nous avons reçu, au début du mois de février, le communiqué de la maison d'édition Hamac annonçant la sortie de L'inextinguible, nouveau livre de l'auteur et psychanalyste.

Lorsque le livre est arrivé à La Presse quelques jours plus tard, il faut l'avouer, il n'a pas trouvé preneur et s'est vite retrouvé dans un tiroir. Mais une critique virulente parue la semaine dernière dans un autre journal, accordant au livre une seule étoile, et surtout la réaction de Moutier sur sa page Facebook, nous a intriguée.

Ce commentaire nous a rappelé cette réflexion qu'on avait eue en recevant le livre : « On dirait que ce n'est pas vrai cette affaire-là, que ce sont des faux entretiens. » Au début de la semaine, nous avons donc décidé de vérifier l'existence de Paula Singer. Celle-ci a été facilement repérable sur Facebook.

Notre demande d'amitié a été acceptée immédiatement. Nous avons ensuite sollicité une entrevue par Messenger. La réponse positive de Paula Singer est venue quelques heures plus tard, en soirée lundi.

Mardi, nous avons communiqué avec Maxime Olivier Moutier, pour lui proposer une entrevue mercredi après-midi, tout de suite après celle de Paula. L'affaire a rapidement été bouclée.

Entre-temps, nous avons remis la main sur L'inextinguible et on s'est lancée dans une lecture intensive de cet ouvrage où sont retranscrits 15 entretiens qui ont eu lieu en 2014 et 2015 entre l'auteur Maxime Olivier Moutier et Paula Singer, titulaire d'une maîtrise en gestion de HEC, en présence de Sophie Galarneau, étudiante en littérature, qui enregistrait les conversations et participait aux retranscriptions.

À la fin de chaque rencontre où différents thèmes étaient abordés - la jeunesse de l'auteur, le féminisme, la religion, la psychanalyse, par exemple -, Paula Singer ajoute un commentaire personnel sur ce qui vient de se dérouler. D'un chapitre à l'autre, l'intervieweuse est de plus en plus obsédée par son sujet, jusqu'à en devenir amoureuse. Dans une conclusion surprenante, elle raconte alors la passion amoureuse de quelques semaines qui les a unis lorsque le projet s'est terminé, avant de se quitter pour ne plus jamais se revoir.

Une lecture qui nous a laissée avec une seule question en tête : mais pourquoi ?

ENTREVUE AVEC PAULA

À 13 h 30 mercredi, nous demandant qui allait répondre (Maxime, Paula, une comédienne, personne ?), nous avons donc appelé Paula Singer. « C'est moi-même en quelque sorte », répond-elle. En quelque sorte ? « C'est un pseudo, je pense que vous l'aviez compris. Paula est le nom de ma grand-mère, et Singer celui de sa machine à coudre. Je ne veux pas dévoiler mon identité parce que c'est une histoire du passé. »

« Paula » nous assure qu'elle a vraiment étudié à HEC, mais qu'elle a un peu menti sur sa date de naissance. Quand on lui demande pourquoi elle a raconté les détails de leur passion à la fin du livre, elle répond que c'était une manière de boucler la boucle.

« Je n'ai aucun regret et j'assume totalement, mais c'est vrai que je suis ailleurs maintenant. J'ai un copain, un travail, je ne sais même plus si je referais ce livre aujourd'hui », dit-elle, expliquant que c'est la raison pour laquelle elle s'est effacée du produit final.

Elle déplore cependant qu'on s'attarde à la conclusion « un peu mielleuse et superficielle » pour passer à côté de ce qui est dit. Dans L'inextinguible, Maxime Olivier Moutier tient des propos franchement provocants, en particulier sur le féminisme. Quand on demande à la jeune femme si elle n'a pas eu envie de lui sauter au visage, elle rigole.

« Ce n'était pas le but de ma démarche de m'obstiner. Et puis, quand on le lit, il manque l'intonation de la voix, les gestes, le regard... Je ne pense pas qu'il fait exprès pour provoquer. Mais comme ce qu'il pense va souvent à contre-courant de la pensée dominante, ça donne un résultat provocant. »

Même si l'entretien a tourné autour du livre, comme si de rien n'était, on lui avoue avant de raccrocher qu'on doute quand même beaucoup de l'existence de Paula Singer. « Je trouve ça très drôle, lance-t-elle. Et moi, est-ce que je parle à une vraie journaliste ? »

Elle affirme qu'elle a d'abord été « choquée » par le fait que bien des gens se demandent si elle n'est pas une invention de Maxime Olivier Moutier. « Mais comme je voulais me détacher du projet, je suis finalement bien contente. »

Cette conversation sème un gros doute dans notre esprit. Si « Paula » joue un rôle, elle le joue bien. Lorsqu'on passe un coup de fil à Maxime Olivier Moutier, le doute perdure. Mais par ailleurs, ces deux-là, qui sont censés ne pas s'être parlé depuis très longtemps, sont tellement coordonnés dans leurs réponses que tout semble bien organisé.

ENTREVUE AVEC MAXIME OLIVIER MOUTIER

L'entrevue avec Maxime Olivier Moutier commence. Nous discutons du projet, des recueils d'entretiens qui l'ont inspiré - justement les mêmes que Paula cite au début du livre. Il se dit surtout heureux d'avoir pu développer sa pensée, en sachant qu'elle ne fera pas plaisir à tout le monde.

« Je sais que c'est trash et un peu choquant, mais je n'ai jamais été consensuel non plus. Et puis, je ne pense pas qu'on doit lire des livres pour se rassurer sur ce qu'on pense. Si tu vas voir une oeuvre et qu'elle te met en crisse, c'est qu'elle est réussie cette oeuvre. »

Puis on rentre dans le vif du sujet. 

« Si je te dis que je suis convaincue que c'est toi qui as écrit ce livre d'un bout à l'autre, tu réponds quoi ? »

Maxime Olivier Moutier rit.

« Je ne sais pas quoi répondre. Je sais que des gens pensent ça sur les réseaux sociaux. J'essaie de ne pas désamorcer cette ambiguïté. Je trouve ça très amusant, je sais que ça fait partie du truc. Je dirais aussi que c'est pas gentil pour Paula, mais c'est correct que tu le penses.

- Tu continues à affirmer que Paula existe et que ce n'est pas une de tes amies qui m'a répondu tout à l'heure en jouant un rôle ?

- Non, non, non. Elle existe. C'est même elle qui a motivé ce projet.

- Vous vous êtes donc rencontrés 15 fois, et l'histoire d'amour n'est pas inventée ?

- C'est ça. Ça a viré comme ça après les rencontres. »

Maxime Olivier Moutier rit encore.

« Je continue à douter.

- C'est normal. Je te laisse douter. »

CANULAR OU NON ?

Conclusion, après avoir réalisé ces deux entrevues, les avoir réécoutées, et relu quelques passages du livre ? Malgré notre conviction d'avoir affaire à un canular littéraire, le flou subsiste sur sa nature même. Et il est parfaitement bien entretenu par les principaux intéressés.

Il est clair en tout cas que L'inextinguible contribue au personnage littéraire que Maxime Olivier Moutier s'est créé au cours des années. Pris au premier degré, non seulement son côté narcissique est repoussant, mais il est également difficile de garder son calme en lisant des affirmations comme « De toutes les religions, la catholique est probablement la plus féministe » ou « Le féminisme est une affaire de bourgeoises. C'est un luxe ». Même si ces déclarations sont étayées par la suite.

Pris au deuxième degré (et plus), il reste à peu près impossible d'accorder une cote à ce livre qui joue avec la frontière de la vérité et la fiction et qui brouille volontairement toutes les cartes. Surtout, on se demande qui aura envie d'aller jusqu'au bout de ces 352 pages, à part l'entourage immédiat de Maxime Olivier Moutier et ses fans irréductibles.

Par contre, on ne peut que remercier l'auteur pour le jeu distrayant auquel il nous convie et qui a le mérite, disons-le, de nous sortir des sentiers battus.

L'inextinguible

Maxime Olivier Moutier

Hamac

352 pages