Vedette du cinéma et de la télévision américaine au tournant des années 2000, victime présumée de Harvey Weinstein, Rose McGowan dénonce avec véhémence le machisme de Hollywood dans son livre Debout, publié en français aux éditions HarperCollins. Extraits.

Sur son physique

« T'as rompu ? »

« Au début, la question me mettait sur les nerfs. Je trouvais ça sexiste, cliché et déprimant. Jamais une rupture ne me laisserait dans un tel besoin de liberté que j'en viendrais à changer de comportement. Mais plus on me posait la question, plus je m'interrogeais sur mes motivations. Et je me suis rendu compte que si, j'avais bel et bien rompu avec quelqu'un. Avec vous. Avec la société. Avec l'idéal hollywoodien, auquel j'ai pourtant activement participé. Avec la "femme" parfaite que chaque actrice de chaque pub de shampooing te vend, et qui te dit : "Voilà le secret pour qu'un mec ait envie de toi." Les cheveux longs, brillants, à la Kardashian, qui te font passer le message : "Baise-moi, mon grand." Comme si on se résumait à ça. Les cheveux. C'est avec les cheveux que j'ai rompu. Et ça a pris des années. Sortir de ma lobotomie n'a pas été facile. Je n'ai jamais aimé avoir les cheveux longs ; ça attire le regard des hommes, et j'ai la sensation que la vraie moi disparaît en dessous. Je m'en servais pour me cacher le visage, pour observer les autres sans trop me faire voir, pour dormir. Ça, pour dormir, j'ai dormi. La vraie Rose dormait pendant que la fausse Rose vivait une existence alternative bizarre en jouant le rôle de quelqu'un qui jouait des rôles. » (page 13)

Sur Hollywood

« Tous ceux qui ne voient dans Hollywood qu'une blague idiote se trompent. C'est un business extrêmement sérieux, qui garde ses gains. Vous pensez peut-être que vous divertir ne coûte pas plus cher que les quelques billets durement gagnés que vous allez allonger pour votre place de cinéma, ou que le virement mensuel à votre fournisseur d'accès Internet. Mais moi je vous dis que vous n'avez pas la moindre idée du prix dont vous vous acquittez réellement. Vous ne payez pas avec des dollars, mais avec votre esprit, votre comportement, vos schémas de pensée. Autant de choses qui ne devraient pas avoir de valeur marchande. Dans notre société du vu-à-la-télé, tout ce que vous avez visionné et consommé depuis votre naissance a contribué à vous former, et continue de le faire. Même ceux qui ont choisi de rester en dehors de cette réalité illusoire doivent rester vigilants pour ne pas être contaminés par ces mensonges et ces messages nocifs. Car ils sont insidieux, et ils sont partout. » (page 19)

Sur les auditions de cinéma

« Les indignités qui allaient avec le métier d'actrice me dégoûtaient profondément. Vous savez ce que c'est, d'aller à un entretien d'embauche, le stress, le malaise que cela implique ? Eh bien, imaginez maintenant que, durant cet entretien, on vous demande de fondre en larmes ou de rire comme une cinglée, tout en restant sexy. Imaginez qu'on vous oblige à faire des choses humiliantes, comme de pivoter sur vous-même pour qu'un groupe de mecs vous matent le cul et les seins en faisant croire que c'est pour le rôle. » (page 115)

Sur les réalisateurs

« Tout le monde sait que les réalisateurs à Hollywood sont des gens vindicatifs et humiliants, à qui l'on passe tous les caprices. Et je n'ai jamais vu ou entendu parler d'un acteur masculin qui se serait fait malmener sur un plateau. Il est temps que les gens, que ce soit dans le cinéma ou ailleurs, se manifestent quand quelqu'un se fait harceler ou terroriser ; il est temps de se battre pour les autres. Si vous ne le faites pas, vous serez critiqué, vous serez humilié, vous serez traîné dans la boue. Ce n'était qu'un exemple de plus de l'impunité masculine. Pouvez-vous imaginer ce que ce serait si votre nouveau boss, à peine une heure après être arrivé, se mettait à vous crier dessus devant tout le monde sans que personne ne lève le petit doigt ? Peut-être que oui. J'espère pour vous que ce n'est pas le cas. Il n'y a pas d'excuse à la maltraitance. Jamais. Lorsque vous vous faites hurler dessus, le corps encaisse, vous êtes secouée. Traumatisée. Mais quoi, remettez votre minijupe et dites votre texte, ma petite dame. Vous êtes une actrice, alors autant vous y faire.

« Bien sûr, ce n'est pas le seul secteur où l'on entend ce genre de cris. Mais ce que vous devez comprendre, c'est que Hollywood ne fait l'objet d'aucun contrôle extérieur. »

Sur le culte de la jeunesse

« J'étais si pervertie par le Culte de la Pensée hollywoodienne que je combattais ma peur en essayant de contrôler le processus de vieillissement. Je voulais me figer dans le temps. Comme tant d'autres à Hollywood. Et la voix dans ma tête n'était pas la seule à me le dire ; les maquilleurs, les coiffeurs, les stylistes, les agents, les managers, complétez la liste, y allaient tous de leur couplet. Ils veulent qu'on reste jeune pour pouvoir continuer à se faire du fric sur notre dos le plus longtemps possible. En tant que femme et en tant qu'être humain, je devais affronter le fait de vieillir et toutes les merdes qui vont avec, mais en tant qu'actrice, il fallait que mon visage et mon corps rapportent des gros tas de billets à ma corporation. Ces gens dépendent de votre apparence pour faire bouillir la marmite et payer le crédit de leur voiture. De manière générale, le monde des médias interdit aux femmes de vieillir. On nous fournit, en toute transparence, un accès direct à des gens qui peuvent soi-disant nous figer dans le temps et qui sont chaudement encouragés à le faire. On a l'argent pour ça. Et on se déteste : nos photos sont aussi manipulées que notre cerveau. Le message est clair : nous ne sommes jamais assez bien, puissance un million. Nous sommes marketées de façon à ce que vous, le public, puissiez nous envier, nous adorer ou nous haïr. La bonne vieille tradition de Hollywood, c'est de dire : "Ne voudriez-vous pas pouvoir nous ressembler ?" En tout cas jusqu'à ce qu'on abuse de la chirurgie esthétique, suscitant alors vos rires et vos moqueries. Les actrices passent beaucoup plus de temps qu'elles ne le devraient devant le miroir, ça en devient maladif ; ce n'est pas sain de devoir contrôler chaque détail de son visage parce qu'on sait qu'il sera observé par le monde entier ; ce n'est pas normal d'en arriver à croire qu'on a des dents d'un mètre cinquante. Il y a de quoi vous bousiller pour de bon. Je le sais, j'en ai fait les frais. Les actrices ont des raisons de franchir la ligne rouge ; j'avais l'impression de me prendre des coups de couteau. Je détestais ce que j'étais devenue et je voulais le détruire. » (page 178)

Sur Quentin Tarantino

« La façon dont les femmes sont traitées à l'écran donne une bonne indication sur ce que le réalisateur pense d'elles, le peu de valeur qu'il leur accorde. Tarantino a toujours été encensé pour ses personnages féminins forts. Mais regardez ce qu'elles traversent. Il leur fait endurer le pire pour votre plus grand plaisir. Certes, Zoe Bell, Tracie Thoms et Rosario Dawson bottent des culs, mais voyez ce qui arrive aux autres. Sidney Tamiia Poitier, la fille de Sidney Poitier, jouait le rôle de Jungle Julia. Tarantino était tout le temps sur son dos parce qu'il trouvait qu'elle ne faisait pas assez fille de la rue. C'était tellement embarrassant. Elle meurt lorsqu'une voiture la coupe en deux par le vagin. Sa jambe démembrée passe à travers la fenêtre. Une autre femme a le visage écrasé par un pneu qui dérape. Mon personnage, Pam, se fait torturer dans une voiture et se fait fracasser le visage contre le plexiglas avant de passer l'arme à gauche. Ce que les femmes de Tarantino gagnent en force, elles le paient en brutalité. Mais une fois de plus, tout va bien, ce ne sont que des femmes. » (page 190)

Sur son militantisme anti-Hollywood

« Hollywood agit sous le sceau du secret, mais je n'ai jamais dit que je garderais ce secret. Si vous ne le faites pas : Tss, tss, tss, nous savons ce que tu es. Tu es un électron libre. Tu ne réussiras jamais. Toi, ma petite, tu seras punie. Qu'est-ce que vous dites de ça : et si vous arrêtiez de faire des trucs tellement dégueulasses que personne n'a le droit d'en parler ? Et si vous vous montriez aussi justes et humains avec les femmes qui travaillent avec vous qu'avec les hommes ? Et si vous vous mettiez un peu à leur place pour voir ce qu'elles endurent ? La seule façon de changer les choses, c'est de faire la lumière sur les zones d'ombre. Mon but est de montrer Hollywood tel qu'il est réellement. Je pourrais raconter un million d'autres anecdotes dans ce livre, mais je n'ai pas l'énergie nécessaire pour documenter toutes les saloperies dont j'ai été victime ou témoin. En utilisant quelques-unes de celles que j'ai vécues, j'espère créer un effet boule de neige. J'espère que d'autres femmes se dresseront, prendront le pouvoir qui est le leur et diront "plus jamais". Et j'espère que des hommes se dresseront à leurs côtés. » (page 214)

Debout

Rose McGowan

HarperCollins

Paru vendredi

IMAGE FOURNIE PAR HARPERCOLLINS

Debout, de Rose McGowan