Il n'est pas facile d'être auteur de chansons. Autrefois libre et considéré, le parolier est aujourd'hui au service d'un système qui dicte sa loi: une chanson doit d'abord bien sonner. Gros plan sur des auteurs qui revendiquent la place des mots dans la chanson.

La chose vous est sans doute arrivée: vous roulez en voiture, vous entendez une chanson, vous la fredonnez gaiement quand, tout à coup, vous vous mettez à vous concentrer sur les paroles. Au bout de quelques couplets, vous vous rendez compte que vous ne comprenez rien au texte, qu'il est mal construit et que, finalement, il est insipide.

Cette constatation, nous sommes nombreux à la faire. Que faut-il blâmer? Une paresse intellectuelle? Une pauvreté académique? Un manque de formation? Une industrie qui ne souhaite qu'encaisser? Toutes ces réponses sont bonnes.

Et ces réponses nous dirigent vers un constat flagrant: le manque de reconnaissance du métier de parolier. Autrefois prisés et recherchés par les interprètes, ces auteurs étaient la plupart du temps à l'origine d'une oeuvre. C'est d'eux qu'émanait l'idée d'une chanson. «Ce métier est en voie d'extinction», a déclaré Plamondon à divers médias au cours des derniers mois. Selon l'homme aux éternels verres fumés et aux centaines de succès, les chansons sont aujourd'hui signées par des «usines».

À l'agonie ou en pleine mutation, le métier d'auteur de chansons ne peut plus être vu comme avant. Cet avant, Pierre Huet, auteur attitré de Beau Dommage et d'Offenbach-Gerry Boulet l'a bien connu. Le créateur du Géant Beaupré, Un incident à Bois-des-Filion, Montréal et Mes blues passent pu dans porte se souvient d'une époque où des agents représentaient les auteurs.

«Longtemps, il y a eu des éditeurs qui partaient avec des chansons sous le bras et allaient les vendre. Ces gens étaient chargés de trouver des artistes pour interpréter ces chansons. Puis il y a eu l'émergence d'une génération d'artistes qui a voulu tout faire», indique Pierre Huet.

L'arrivée des Beatles et des Rolling Stones dans les années 60 est venue changer les choses. Ce fut le début de la grande époque des groupes. On a appris à travailler autrement. «Mick Jagger, à qui on reprochait qu'on ne pouvait pas entendre ce qu'il chantait, disait que cela n'avait pas d'importance, explique Pierre Huet. Ç'a été le début de l'ère du son et des studios. Les mots ont été relégués au second plan.»

Le pouvoir des paroliers en a alors pris pour son rhume. Tranquillement, celui qui couchait les mots sur papier est devenu un subalterne, celui qui arrive en dernier dans le processus. «Aujourd'hui, il est clair que c'est la musique qui arrive en premier», dit Nelson Minville qui a écrit au cours de sa carrière près de 300 chansons pour lui et une cinquantaine d'interprètes, dont Luce Dufault, Roch Voisine, Brigitte Boisjoli, Renée Martel, Laurence Jalbert, Marc Dupré, Mario Pelchat, Marc Hervieux, Jean-François Breau et Marie-Ève Janvier. 

«Dans 90 % des cas, on m'apporte une maquette et un yaourt [des cha-ba-da-ba-da que fait l'interprète sur la musique]. Je dois écrire un texte à partir de cela. C'est une énorme contrainte. C'est la chose la plus difficile à faire quand tu crées une chanson.»

Nelson Minville, qui enseigne l'écriture de la chanson au collège Lionel-Groulx, regrette que le parolier ne soit plus le porteur de la chanson. «Ce n'est pas pour rien que Luc Plamondon a écrit la chanson Des mots qui sonnent. Cela répond à une réalité qu'il a bien connue.»

Le son avant tout

Pierre Huet abonde dans ce sens. «On a essayé toutes sortes de formules au cours des dernières décennies. Mais aujourd'hui, ce qui compte, c'est le son, c'est la manière dont la chanson doit sonner. Les exemples qui me viennent à l'esprit, c'est Karkwa et Malajube, deux excellents groupes. Mais quand on s'attarde à leurs textes, on ne comprend rien. Je ne pense pas les offenser en affirmant que leurs textes ne changent pas le sort de la planète.»

L'auteur, tout en songeant au propos de sa chanson, de sa structure poétique (rimes), doit aussi faire en sorte que les pieds se conjuguent aux lignes mélodiques et que les accents toniques tombent aux bons endroits. Tout un casse-tête ! Faire l'exercice dans l'autre sens est un chemin plus facile. «C'est sûr que si tout commence par un texte, le parolier jouit d'une plus grande liberté, dit Pierre Huet. Tu imposes ta rythmique.»

Cette approche ne signifie pas que toutes les chansons en souffrent. Des perles sont créées lorsqu'une symbiose existe entre l'auteur et le compositeur. «Quand la musique vient en premier, le compositeur doit donner une marge de manoeuvre au parolier, dit Nelson Minville. Il faut lui laisser le temps d'installer et de raconter son histoire.»

L'une des situations qui semble le mieux convenir aujourd'hui à la création d'une chanson est celle de l'auteur-compositeur-interprète. Pierre Flynn est un bon exemple de cela. Véritable ciseleur et travailleur acharné, le créateur de La maudite machineTraces dans le sableSur la route et En cavale a appris ce métier sur le tas.

«Au moment d'Octobre, j'étais un musicien autodidacte qui a été obligé d'apprendre à écrire. Ça m'a pris du temps à comprendre qu'il faut prendre soin des mots. Ces chansons-là, il faut les chanter après.»

«J'écoute certaines de mes premières chansons et je me dis que j'aurais dû passer plus de temps dessus. Avec le temps, j'ai appris à creuser, à creuser comme un mineur.»

Quand vient le temps de faire une chanson, Pierre Flynn s'installe la plupart du temps au piano et laisse venir les choses, la mélodie, les mots, l'ambiance. «Mais pour chaque album solo, il y a eu deux ou trois chansons qui sont d'abord venues par le texte. La chanson Duparquet que j'ai écrite sur l'histoire de ma mère en Abitibi a été faite comme ça. Elle devait venir comme ça.»

Photo Marco CAMPANOZZI, LA PRESSE

L'auteur Pierre Huet est derrière de nombreux succès de Beau Dommage.

Qu'est-ce qu'une bonne chanson?

Un bon texte de chanson doit-il pouvoir vivre seul sans la musique? Un grand débat a toujours fait rage là-dessus. Pour certains, les deux éléments, le texte et la musique, sont indissociables. Mais pour d'autres, un bon texte de chanson devrait pouvoir se lire aussi bien qu'il se laisse écouter.

«Un texte de chanson n'est pas un poème, dit Pierre Huet. Je n'ai jamais eu la prétention comme parolier de dire qu'un texte de chanson devait vivre seul, mais j'aimerais pouvoir dire oui.»

Pierre Flynn ne croit pas qu'un texte doit franchir cette étape pour passer le test. «Une chanson est une parole faite pour être chantée, dit-il. Cela dit, quand on va au bout des choses, quand on a bien fait ce qu'on avait à faire, on peut arriver à lire un texte de chanson. D'ailleurs, ça m'arrive de le faire en spectacle.»

Chantée ou récitée, une chanson demeure un texte. Faut-il que celui-ci respecte des règles littéraires strictes? Pierre Huet, un ancien du cours classique, ne croit pas qu'un parolier doit avoir des lettres pour bien écrire. «Je crois cependant qu'un auteur de chansons doit découvrir son style. Moi, le jour où j'ai découvert le pouvoir des rimes internes, ça a changé beaucoup de choses. C'est devenu ma marque. Il faut savoir analyser les choses et comprendre pourquoi un texte marche.»

Nelson Minville entend beaucoup de chansons trop «nichées», selon lui. Les textes baignent trop souvent dans une poésie incompréhensible et facile. 

«La chanson est un art populaire dans le sens le plus noble du terme. Regardez les grands textes de la chanson francophone, ils sont faits avec des mots simples. Ce sont les idées qui doivent être grandes.»

La chanson vit une grande transformation. Elle est déchirée entre une foule de courants et de sons. Elle tente de se redéfinir, de se retrouver. Dans ce remous, ceux qui sont chargés d'aligner les mots qui seront chantés essayent de trouver leur place.

«On fait ce métier-là parce qu'on sait que ça sera difficile de prendre sa place ailleurs, dit Pierre Flynn. Moi, j'ai choisi de faire cela, car j'étais un enfant renfermé et timide. Je ne me voyais pas faire autre chose. Nous sommes chanceux, les auteurs de chansons, on est des observateurs. Et nous pouvons encore faire des rimes. Les poètes eux-mêmes ne peuvent plus en faire.»

Dans son livre En 67 tout était beau, un ouvrage passionnant dans lequel Pierre Huet aborde avec beaucoup d'esprit et d'humour divers aspects de sa vie, l'auteur du Blues de la métropole parle avec passion du métier de parolier. Il ne le fait toutefois pas avec la nostalgie du vieux routard.

«Il y a des chanteurs québécois qui ont du succès, mais qui n'ont strictement rien à dire. Ils auraient intérêt à se trouver de bons auteurs. En revanche, je découvre des choses fabuleuses dans le hip-hop. Ça cause dans le rap, ils en chient, du texte. Je considère que le rappeur contemporain, c'est le parolier moderne.»

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Pierre Flynn est actuellement en tournée au Québec. 

Nelson Minville signe la mise en scène de la pièce Entre vous et nous, avec Marie Michèle Desrosiers, Luce Dufault, Marie-Élaine Thibert et Martine St-Clair, présentée le 24 février, au Théâtre Outremont.En 67 tout était beau 

En 67 tout était beau. Pierre Huet. Éditions Québec Amérique.

Photo Yan Doublet, Archives Le soleil

«Pour chaque album solo, il y a eu deux ou trois chansons qui sont d'abord venues par le texte. La chanson Duparquet que j'ai écrite sur l'histoire de ma mère en Abitibi a été faite comme ça. Elle devait venir comme ça», raconte l'auteur-compositeur-interprète Pierre Flynn.