L'éditeur Jean Bernier, chez Boréal, a accompagné Marie-Claire Blais depuis 1995 dans la rédaction du cycle Soifs. Il est son lecteur privilégié.

Qu'est-ce que cela exige de travailler avec Marie-Claire Blais?

Le travail est facile parce qu'elle sait exactement ce qu'elle fait. On ne dit pas à Marie-Claire Blais quoi faire, elle est en pleine maîtrise de ses moyens, dans une cohérence irréprochable. Elle a beau faire des phrases de 25 pages, je n'ai jamais réussi à la prendre en défaut au niveau syntaxique; elle se trompe très rarement.

Il faut un éditeur qui a les reins solides, qui puisse la respecter, la laisser aller, la soutenir et être complice de son projet unique. Mon travail est de la protéger contre des demandes qui ne vont pas dans son sens. Mais elle est incapable de se trahir elle-même, elle a cette force en elle.

Quelle vision avez-vous de ce cycle romanesque, vous qui y avez travaillé de près?

Ce qui me fascine, c'est son ouverture sur le présent. On peut penser qu'elle est difficile d'accès, mais elle est toujours en dialogue avec l'actualité et la réalité la plus immédiate. C'est très rare. Je ne vois nulle part ce désir d'établir un dialogue avec ce qui arrive dans les changements des moeurs et des modes de vie. C'est même prophétique par moments. C'est une oeuvre extrêmement ambitieuse, ouverte à tout ce qui se passe dans le monde.

Comment situez-vous Marie-Claire Blais dans l'histoire de la littérature québécoise?

Elle appartient de plein droit à la littérature québécoise pour différentes raisons. Par cette compassion, cette attention à l'être humain et aux marginaux qu'on voit beaucoup dans la littérature québécoise. Elle écrit en français, mais pas du tout d'un point de vue français, d'un point de vue américain. Mais elle a cette façon de s'approprier l'histoire mondiale qui est à mon avis exceptionnelle dans la littérature québécoise. Son usage des catastrophes mondiales est tellement original, parce qu'il n'y a jamais de vrais monstres chez elle. Personne ne perd son humanité dans son oeuvre. Elle est reliée à ce mouvement des années 60 et 70 de l'ouverture de la conscience. C'est le motif de Soifs, cette ouverture de la conscience, et de nous faire regarder les choses en face.