Le premier texto a été envoyé il y a 25 ans. Ce moyen de communication a-t-il influencé nos façons d'écrire? Quelle est son influence dans la littérature? On se penche sur la question.

La grande majorité d'entre nous possède un téléphone cellulaire et le texto fait désormais partie de nos vies. Nous maîtrisons tous l'envoi des messages brefs et nous nous amusons avec les abréviations qui se rapprochent parfois du dialecte (LOL, TKT...). Les écrivains n'échappent pas à cette influence.

Sophie Marcotte, professeure au département d'études françaises de l'Université Concordia, remarque depuis deux ans l'apparition des textos dans les romans contemporains. 

«Ils ne sont pas seulement évoqués, ils sont intégrés à la trame du récit. Ils ont un impact sur le récit en ce sens qu'ils influencent l'intrigue et le degré de sociabilité entre les personnages.»

Chercheuse au sein de Figura, le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire qui regroupe des chercheurs de plusieurs universités, Sophie Marcotte dirige l'antenne Concordia du laboratoire NT2, dont le mandat est d'explorer de nouvelles formes de textes et d'oeuvres hypermédiatiques. Elle note que les textos sont particulièrement utilisés dans les romans policiers et d'espionnage. La chercheuse cite l'exemple de la trilogie de Jean-Jacques Pelletier (Visages de l'humanité, Dix petits hommes blancs et Machine God, publiés chez Hurtubise), dans laquelle les personnages communiquent par textos et où les chatbots (robots logiciels) génèrent des statuts Facebook et des tweets pour répandre des rumeurs.

«Avant, pour introduire un dialogue, il y avait une pause descriptive dans le récit, l'action était suspendue, note-t-elle. Ce n'est plus le cas.»

Sophie Marcotte remarque toutefois que les textos n'ont pas d'influence sur la qualité de la langue. «On reste dans le vocabulaire normatif», assure-t-elle. Par contre, ils ont modifié la mise en page d'un récit. «On met en page la fenêtre d'un texto, ce qui permet visuellement de l'intégrer dans la trame narrative.»

Un rythme différent

Au Canada comme aux États-Unis, les applications mobiles qui permettent de lire de courts récits racontés sous forme de textos, les chat fictions, sont de plus en plus populaires. L'application Hooked, par exemple, avait été téléchargée 20 millions de fois l'été dernier. Ses utilisateurs : des jeunes de 25 ans et moins pour la plupart.

Au Canada, la plateforme Wattpad a poussé le concept un peu plus loin: elle permet d'insérer des extraits audio et vidéo et offre aux lecteurs de choisir la fin qu'ils préfèrent. Jusqu'ici, ces applications sont davantage reconnues pour leur côté divertissant que pour la qualité des récits publiés.

Professeur au département d'études littéraires de l'UQAM, Bertrand Gervais observe quant à lui dans les textes une résurgence de la phrase brève, des fragments, de la poésie aussi. «Je vois beaucoup de formes syncopées, souligne-t-il. Les dialogues sont insérés dans les textes, on ne fournit plus le contexte, car avec le texto, le contexte est implicite.» 

«Il y a des effets de langage et des raccourcis qui me rappellent les débuts du courant minimaliste dans la littérature des années 60.»

Il n'est pas le seul à remarquer ces changements, aussi subtils soient-ils. «Les courriels nous avaient déjà préparés à une nouvelle expression plus abrupte et directe, note pour sa part Olga Duhamel, directrice littéraire à la maison d'édition Héliotrope. Certains auteurs en font vraiment quelque chose, sur les réseaux sociaux notamment, on voit que l'expression s'affine chez certains, qui sont ensuite avec leur texte davantage dans l'assemblage de fragments. Est-ce une conséquence du texto? Peut-être. De toute cette technologie de la communication rapide, assurément.»

Olga Duhamel souligne au passage que des auteurs comme Alice Michaud-Lapointe, Martine Delvaux et Kevin Lambert ont été influencés, peut-être malgré eux, par cette forme brève de communication. «Chez ces auteurs, la messagerie instantanée et le courriel façonnent à mon sens discrètement et même inconsciemment la forme.»

Une forme ludique

Si chez certains auteurs l'influence du texto est discrète, chez d'autres, elle est tout à fait évidente. Auteure depuis peu - elle a publié son premier roman en 2013 -, Geneviève Guilbault publie la série Textos et cie, une série de romans destinés aux jeunes de 10 ans et plus dans laquelle le texto est au coeur du récit.

«Le texto permet d'alléger le texte, de jouer avec le rythme», explique cette ancienne éducatrice en garderie qui vit maintenant de sa plume. 

«Les textos sont une partie importante de la vie des jeunes, mais pas question de modifier l'orthographe ou d'utiliser des abréviations [dans ses livres]. Je trouvais important de conserver la qualité littéraire.»

Geneviève Guilbault n'avait jamais envoyé de texto lorsqu'elle a lancé sa série. «J'ai dû demander à mes enfants de m'expliquer, raconte-t-elle en riant. Dans mes romans, je les utilise pour faire progresser l'action ou mettre en scène des discussions entre des personnages.»

Les textos sont reproduits graphiquement sur les pages du roman, ce qui plaît beaucoup aux jeunes lecteurs, affirme l'auteure de Textos et cie. «Les jeunes aiment ça et les parents aussi, précise-t-elle. Ils me disent que leurs enfants voient souvent un roman comme quelque chose d'intimidant. Or quand ils constatent qu'il y a des pages plus aérées avec des textos et une mise en page dynamique, ça les rassure.»

Photomontage La Presse

Et la qualité de la langue?

«kessetu fè l1di?»

«ché pas, pkoi?»

On a tous à notre actif un texto ou deux rédigés de manière phonétique pour aller plus vite, ou pour le pur plaisir de la chose. Mais les intervenants interviewés sont unanimes: il n'y aurait aucune influence négative des textos sur la qualité du français en général.

«Le texto est plus dangereux pour les piétons que pour la langue française, lance à la blague Bertrand Gervais, professeur à l'UQAM. Les gens savent distinguer les usages selon le contexte.»

Même son de cloche de la part de Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation de l'Université de Montréal. Il mène depuis plusieurs années une étude à ce sujet auprès des élèves du secondaire. Ses plus récents résultats, compilés au cours de la dernière année, sont formels: il n'y a pas de lien entre les textos et les fautes d'orthographe. «Oui, c'est le plus grand fléau en classe, et ça envahit le quotidien de tout le monde. Mais au niveau de la langue, il n'y a aucun lien entre la qualité du français et la rédaction de textos.» 

«C'est un dialecte entre jeunes utilisé pour exprimer des émotions, mais on n'observe aucune trace de texto dans les travaux scolaires, mis à part un occasionnel petit émoticon sourire à la fin d'un travail.»

Menée auprès de 4390 élèves âgés de 14 à 16 ans et issus de sept écoles secondaires, cette étude révèle que sur les presque 80 % d'élèves qui possèdent un téléphone cellulaire, le quart l'utilise surtout pour envoyer des textos. En moyenne, les jeunes répondants disent envoyer 50 messages textes par jour. Plus du tiers en envoient plus de 50. À noter que 90 % des répondants au sondage communiquent par texto avec leurs parents.

«Le texto est utilisé pour exprimer ce qu'on fait, ce qu'on ressent, note Thierry Karsenti. Ça se veut très court. Les élèves interviewés dans notre étude sont catégoriques: pour eux, ce sont deux choses complètement différentes. Et ça va plus loin encore: ils n'écrivent pas leur texto de la même manière quand ils écrivent à leurs amis ou à leurs parents.»

«En fait, poursuit Thierry Karsenti, on pourrait même dire que les textos amènent en quelque sorte les étudiants à lire davantage. Il y en a même qui y voient un avantage parce que l'autocorrecteur leur apprend la bonne orthographe des mots. D'autres affirment que grâce au texto, ils sont plus rapides dans la prise de notes. Personnellement, je note que le temps passé à texter, c'est du temps de moins pour faire autre chose, comme lire un livre, par exemple...»

Photomontage La Presse