Le vénérable dictionnaire français Petit Robert, parfois surnommé le «petit gris de la pensée» en raison de son aspect austère et l'absence totale d'illustrations dans ses pages, s'illumine de 22 oeuvres originales de l'artiste Fabienne Verdier à l'occasion de son 50e anniversaire.

«Les tableaux en couleurs insérés dans le corps du dictionnaire ne sont pas des illustrations mais des illuminations au sens où l'entendait Rimbaud dans ses poèmes», souligne le linguiste Alain Rey, 88 ans, qui conçoit Le Petit Robert depuis 50 ans, au cours d'un entretien avec l'AFP.

Pas question de planches illustrées explicatives à l'instar de ce que l'on peut trouver dans Le Petit Larousse illustré ou Le Robert illustré. Les peintures de Fabienne Verdier, 55 ans, sont résolument abstraites et font de cette édition du cinquantenaire un objet hybride, entre dictionnaire (avec quelque 300 000 mots et sens décortiqués) et livre d'art.

«Il s'agit de regarder le lexique français comme si c'était une oeuvre d'art», insiste Alain Rey avec enthousiasme. «Cela donne à la chair même de la langue française une réalité dynamique qui comme la peinture abstraite, est fondée sur le mouvement naturel des choses».

Chaque tableau «traduit le choc de deux termes, de deux idées-forces, allant de l'évidence apparente comme "nuit et noir" à l'incongruité inventive et un peu choquante avec par exemple le couple "labyrinthe et liberté"», explique le lexicographe.

Chaque oeuvre se déploie en diptyque, triptyque ou quadriptyque. Lorsqu'on replie le tableau on peut lire au verso un court texte d'Alain Rey. Ainsi, au verso du triptyque «Esprit-Évasion», il écrit: «Quelle richesse en ce mot, esprit! Souffle, émanation, ange, démon, principe pensant, intelligence et volonté, élan d'ondes libérées... L'esprit par nature est évasif, fait pour l'évasion».

Alain Rey ne tarit pas d'éloges sur le travail de Fabienne Verdier, connue notamment pour ses recherches sur la calligraphie chinoise ou les primitifs flamands.

«S'empierger» en Champagne

«L'un et l'autre nous avions un projet commun et une façon commune d'appréhender les forces intérieures du lexique d'un côté et les forces intérieures des formes en gestation», dit-il.

«Verdier a une idée très rigoureuse de la composition», se félicite Alain Rey, grand amateur de peinture. Les tableaux originaux, forcément présentés en taille réduite (24 x 60 cm pour les plus grands) dans le dictionnaire, seront exposés à partir du 3 novembre au musée Voltaire de Genève. Ce sont quasiment tous des grands formats (120 x 251 cm pour la majorité d'entre eux).

Les lecteurs auront le choix entre trois couvertures, reprenant chacune un des tableaux de l'artiste. Le dictionnaire avec la jaquette «Voix-Vortex» est en vente (64,50 euros; 95 $) depuis le 17 août. Les dictionnaires avec les couvertures «Musique-Mutation» et «Sinuosité-Sagesse» seront disponibles à partir du 19 octobre.

Un beau livre, «Polyphonies», racontant l'histoire de cette collaboration entre la peintre et le lexicographe, co-édité avec Albin Michel, sera également publié le 19 octobre.

D'ici là, Alain Rey publie le 7 septembre un ouvrage sur «les 200 drôles de mots qui ont changé nos vies depuis 50 ans», sorte de voyage à travers un demi siècle histoire du français.

Concernant l'édition des 50 ans du Petit Robert, l'éditeur a prévu un tirage limité à 50 000 exemplaires.

Côté lexique, le Petit Robert continue de se vouloir quasi exhaustif. Parmi les mots nouveaux on trouve l'herbicide «glyphosate» ou «batucada» (ensemble de percussionnistes jouant de la samba).

Les pays francophones comme le Canada, la Suisse et la Belgique apportent également leur lot de mots originaux: «biscôme» (pain d'épice apprécié en Suisse), «grichage» (grincement ou grésillement au Canada) ou encore le belge «zinneke» (chien bâtard ou représentant du métissage culturel bruxellois).

Le français régional n'est pas oublié avec par exemple le verbe «s'empierger» (trébucher) venu de Champagne-Ardennes. On trouve également de nouvelles locutions dont ce «moment de relâchement, de laisser-aller collectif», connu sous le nom, désormais dans le dictionnaire, de «fête du slip».