Fiona Barton a été journaliste pendant une trentaine d'années. Sa spécialité : le fait divers. Elle a écrit pour le Mail on Sunday, le Daily Telegraph, le Daily Mail. Et puis, en 2008, son mari et elle ont décidé de quitter Londres.

« Nous voulions faire quelque chose de différent, nous avions besoin de changement. Nous sommes partis faire du bénévolat au Sri Lanka, où, pendant deux ans, j'ai formé des journalistes. J'ai poursuivi sur cette lancée en Birmanie et dans plusieurs pays d'Afrique, avec des reporters dont la situation et la sécurité étaient précaires », racontait-elle à La Presse pendant le récent Salon international du livre de Québec, où elle était invitée.

Et c'est au Sri Lanka, loin de chez elle, du bureau, de la famille, qu'elle a entendu parler d'un concours de littérature. Il fallait fournir un texte de fiction de 10 000 mots. Elle l'a fait. Et elle a été finaliste. Pour passer à l'étape suivante, il lui fallait toutefois livrer un manuscrit complet. « J'avais six mois pour m'exécuter. J'y suis parvenue, je n'ai pas gagné, mais mon récit était terminé », poursuit-elle dans un français limpide, teinté d'accent britannique. Car depuis 2011, Fiona Barton et son mari vivent à la frontière de la Dordogne et de la Haute-Vienne, en France (et, oui, les conséquences du Brexit les inquiètent).

Bref, c'est ainsi qu'est né La veuve, son premier roman. Du temps libre. Du deadline imposé par le concours (déformation professionnelle !). Et de l'expérience, surtout de l'expérience, en tant que journaliste. Elle a interviewé tellement de gens. Elle a aimé les écouter. Et observer. Pas nécessairement ceux qui étaient au coeur du drame, au centre des faits, mais ceux qui se trouvaient en périphérie. Mais étaient touchés par les évènements. Un conjoint. Un enfant. Un ami proche. Les micros n'étaient pas tendus vers eux, ils restaient dans l'ombre. Mais.

« Je me suis demandé ce qu'ils savaient. Ce qu'ils cachaient. Ce qu'ils ne voulaient peut-être pas voir. »

« Je pensais aux femmes qui sont dans la cuisine pendant qu'on fait l'entrevue, à ces gens touchés, changés, mais qui n'ont pas de voix dans l'histoire. »

Ici, elle évoque Primrose, l'épouse de Harold Shipman, ce médecin reconnu coupable en 2000 d'avoir euthanasié 15 de ses patientes âgées et qui en aurait tué beaucoup d'autres. Primrose qui travaillait avec son mari, qui recevait les patients. Que savait-elle vraiment ? Et que voulait-elle ne pas savoir ?

Femme de monstre

Fiona Barton a ainsi imaginé Jane. Mariée à Glen. Qui est accusé d'avoir enlevé une fillette de 2 ans. L'homme sans histoire devient un monstre. Mais Jane ne dit rien. Se mure dans le silence. Jusqu'au jour où l'homme/monstre/mari meurt, fauché par un autobus. Entrée en scène de Kate. Journaliste. Qui veut la version de Jane. Qui veut savoir ce qu'elle sait/ne sait pas.

« Au départ, en fait, je voulais simplement raconter l'histoire d'un mariage avec un secret. Le crime ne m'intéressait pas vraiment, je voulais me pencher sur les relations entre un homme et une femme quand quelque chose d'extrême, d'impardonnable se produit. » 

« Jusqu'à quel point peut-on connaître celui ou celle avec qui on partage sa vie ? À quel point est-on prêt à admettre la réalité quand on commence à avoir des doutes ? »

D'où la seule voix de Jane dans la tête de la romancière en voie d'éclosion. Qui s'est bientôt rendu compte qu'il lui faudrait d'autres points de vue pour obtenir un récit complet. Jane a continué à parler, et c'est au « je » qu'elle s'exprime. Mais interviennent aussi dans le roman, par l'intermédiaire d'une narration à la troisième personne, le policier chargé de l'enquête, la mère de l'enfant, et Kate. Journaliste. Qui veut recueillir les mots de Jane, la version de Jane, le point de vue de Jane.

« Non, Kate n'est pas moi, je vous l'assure et mes collègues vous le confirmeraient, pouffe Fiona Barton. Mais j'ai été une Kate, je me suis trouvée dans ses pas, j'ai été là où elle va », résume l'ancienne journaliste... qui n'a jamais complètement cessé de l'être.

En effet, l'expérience de l'écriture au quotidien la sert, les « personnages » innombrables qu'elle a rencontrés l'aident à en bâtir des nouveaux. « Mais ça m'a aussi mis des bâtons dans les roues. Après 30 ans à écouter, à me mettre au service des paroles de quelqu'un d'autre, j'ai eu du mal à me laisser imaginer. Ça a été difficile de m'accorder la liberté de la fiction. »

Elle a appris (autre déformation professionnelle !). A déjà terminé un deuxième roman, The Child, qui paraîtra en juin en anglais, l'an prochain en traduction française. Et elle en a commencé un troisième. Kate revient dans chacun d'eux. « Elle a grandi et s'est imposée - comme toute bonne journaliste. »

Il y a de l'amusement dans la voix de Fiona Barton. Et de la fierté aussi. Ce métier qu'elle a quitté ne l'a pas complètement quittée, elle.

La veuve

Fiona Barton

(Traduction de Séverine Quelet)

Fleuve noir

416 pages

image fournie par Fleuve noir