L'éditeur Gaëtan Lévesque, qui est mort il y a deux semaines, a laissé sa marque sur le milieu littéraire québécois, que ce soit comme cofondateur de la maison XYZ en 1985 ou comme président de l'Association nationale des éditeurs de livres à la fin des années 2000. À la tête de la maison qui portait son nom depuis 2010, c'était aussi un éditeur cultivé et apprécié des nombreux auteurs avec lesquels il travaillait. Six d'entre eux nous ont parlé de lui.

Sergio Kokis

S'il y a un auteur qui est associé de près à Gaëtan Lévesque, c'est Sergio Kokis. «Je l'ai connu au moment de la parution du Pavillon des miroirs chez XYZ en 1994. Nous avons développé par la suite une grande amitié, faite de respect mutuel. Sa nature correspondait à la mienne », dit Sergio Kokis, qui a suivi Lévesque lorsqu'il a fondé sa maison en 2010. «Gaëtan était un homme raffiné et d'une grande délicatesse, mais il avait aussi une grande force. Il ne se fâchait pas souvent, mais quand il se fâchait, c'était quelque chose! Il connaissait parfaitement la littérature française, mais il était aussi très sérieux en affaires et gérait très bien sa maison. C'est sûrement grâce à cette force qu'il s'est autant impliqué dans les organismes publics.» Ce qui lui manquera le plus de celui qui portait un «amour paternel» à ses auteurs? «Ses silences quand on mangeait ensemble et son côté pince-sans-rire, son sourire en coin qui en disait long... Sa maison d'édition, c'était sa raison de vivre.»

Louis-Philippe Hébert

Louis-Philippe Hébert, qui connaissait Gaëtan Lévesque depuis 20 ans, a publié chez lui tous ses romans depuis 2012. Jusqu'au plus récent, Un homme discret, finalisé quelques heures avant la mort de l'éditeur et qui sortira à temps pour le Salon du livre de Québec, début avril. «Il aimait son métier et il a travaillé jusqu'à la toute fin, même malade. Jacques Richer [NDLR: le conjoint de Gaëtan Lévesque depuis 40 ans et associé] m'avait appelé il y a quelque temps avec des commentaires et des corrections pour ce livre, et il m'avait précisé que ça venait de Gaëtan.» Gaëtan Lévesque, dit-il, était «une vraie mère poule» avec ses auteurs. «Il était fidèle et on le lui rendait bien. Il avait une grande culture littéraire, et quand il prenait un manuscrit, il voyait tout. Il m'est arrivé d'écrire en me disant: ça, ça va plaire à Gaëtan. Je vais me souvenir de son sourire en coin, et de ses yeux brillants d'intelligence.»

Étienne Beaulieu

Étienne Beaulieu a publié un livre chez Lévesque éditeur, Trop de lumière pour Samuel Gaska, en 2014. «Mais je connaissais son parcours. Je l'ai contacté pour ce livre, qui n'est ni un roman ni un recueil de nouvelles. Il n'y avait que lui pour publier ça. J'ai proposé qu'on appelle ça récit, il a dit oui tout de suite.» Étienne Beaulieu rappelle qu'à titre de cofondateur de XYZ. La revue de la nouvelle, Gaëtan Lévesque avait une sensibilité particulière pour la forme courte. «C'est un de ses legs importants, d'avoir donné de la valeur à la nouvelle. Il était sensible aux différents genres narratifs. Comme éditeur, je me souviens que lorsqu'il ma redonné mon manuscrit, il y avait cinq ou six trucs soulignés à chaque page. Il allait vraiment dans les détails. En même temps, il avait compris le fond de l'affaire dans mes intentions et il l'avait respecté. C'était le maître de l'effet stylistique. Le meilleur.»

Jean Désy

Le poète, médecin et professeur Jean Désy a côtoyé Gaëtan Lévesque chez XYZ, mais il l'avait rencontré bien avant. «Alors que j'étais étudiant avec Stanley Péan en littérature à l'Université Laval, Gaëtan Lévesque avait pris la peine de venir nous rencontrer à Québec. Il était venu nous parler de ce qu'était une maison d'édition, alors que nous songions à démarrer une boîte qui n'a pas existé longtemps, mais qui a édité quelques livres [les éditions du Palindrome]. Gaëtan avait été exceptionnellement doux et réceptif, plus que sympathique à notre discours, à nos enthousiasmes. J'ai par la suite souvent eu le plaisir de le côtoyer quand je me rendais dans les bureaux d'XYZ, et même si c'était surtout avec André Vanasse que je transigeais, la figure de Gaëtan était toujours tout près, souriante, délicatement attentive, toujours. Quel homme! Quelle bonté! Et quelle ardeur en littérature! Sans doute aucun, il fait partie de mes modèles d'éditeurs.»

Yann et Émile Martel

Yann Martel et son père Émile, cotraducteur de ses livres, ont rencontré Gaëtan Lévesque au moment de la sortie en français de L'histoire de Pi chez XYZ. «Gaëtan Lévesque a été un éditeur d'une grande fidélité chez XYZ. La solidité de sa gestion, la constance de son dévouement au service de la littérature québécoise, mais aussi des diverses professions de l'édition, ont été exemplaires. Par la création de sa propre maison d'édition, celle qui porte son nom, il restera longtemps présent aux yeux des lecteurs, et c'est le moindre des hommages qu'on puisse lui rendre que de l'en remercier. Ce sera pour ainsi dire la partie visible de son oeuvre. Mais celle qui s'est réalisée dans les organismes professionnels, dans les revues littéraires, dans les maisons d'édition, elle aura aussi changé le paysage culturel québécois.»

Esther Croft

Esther Croft a connu Gaëtan Lévesque du temps qu'il dirigeait la revue XYZ. L'auteure de nouvelles est entrée à la maison d'édition du même nom en 2003 et a suivi l'éditeur dans son aventure solo en 2010. «On se lançait dans le vide avec un éditeur qu'on respectait beaucoup. Ça prend un rapport d'attachement entre un auteur et un éditeur, un respect, une confiance. C'était un grand lecteur, mais il aimait et connaissait surtout les auteurs québécois. Il croyait à l'avenir de notre littérature. Il s'y est dévoué corps et âme. Quand il lisait un manuscrit, il ne se demandait pas en premier lieu si le livre allait être un succès. Il publiait ce qu'il trouvait extraordinaire. Il était très généreux. Dans son cas, c'était une vocation, le métier d'éditeur.» 

- Avec Mario Cloutier, La Presse