Depuis la publication de Rosa candida, en 2010, le nombre de lecteurs d'Auður Ava Ólafsdóttir n'a cessé de croître avec trois autres romans à l'écriture tout aussi musicale. De passage à Montréal pour la première fois, l'écrivaine islandaise nous a rencontrée cette semaine pour discuter de son oeuvre, de féminité et de paternité avant de repartir pour Reykjavik.

Il y avait foule mardi soir à la librairie Gallimard, sur le boulevard Saint-Laurent, pour la rencontre avec Auður Ava Ólafsdóttir. L'écrivaine polyglotte, qui s'exprime impeccablement en français, était l'invitée de la deuxième édition du festival FIKA(S) de culture scandinave. Et ce, même si l'Islande est un pays nordique et non scandinave, a-t-elle tenu à préciser !

D'emblée, Auður Ava Ólafsdóttir suscite le rire tout en gardant son sérieux : « Ma spécialité, dit-elle, c'est d'écrire dans une langue que personne ne comprend. » En tête à tête se dévoile timidement une femme d'une grande douceur et d'une profonde sensibilité, à l'image de l'écrivaine que l'on se représente en lisant ses romans.

Derrière ce calme stoïque, typiquement islandais, qui caractérise ses personnages se cache toutefois un « volcanisme » intérieur, note-t-elle.

« C'est la souffrance qui crée l'écrivain. C'est possible que l'âme de chaque écrivain soit souffrante, mais ça ne veut pas dire que l'écrivain est malheureux dans sa vie privée. »

« L'écrivain islandais Halldór Laxness [Prix Nobel de littérature en 1955] avait dit que c'est en quelque sorte le rôle du poète d'entamer la souffrance du monde », poursuit-elle.

Auður Ava Ólafsdóttir aime « jouer » dans les zones grises et n'écrit jamais sur les familles ordinaires. « J'essaie de me mettre dans la peau de gens qui sont marginalisés. » Une naine, un enfant sourd, une adolescente aux jambes invalides... Peu importe ce qui les freine, ses personnages affrontent les déceptions de la vie avec grâce et résignation, et aspirent souvent à la liberté.

Le voyage initiatique, qui permet de « partir pour mieux revenir », habite également tous ses romans, souligne-t-elle. Ce désir d'ailleurs prend forme, notamment dans Le rouge vif de la rhubarbe, à travers le périple des oiseaux migrateurs au fil des saisons, symboles pour les Islandais que l'hiver a de nouveau été vaincu. « Quand le pluvier doré revient en Islande, c'est à la une des journaux ! », s'exclame l'écrivaine.

Auður admet avoir elle-même été tiraillée très tôt par ce désir d'ailleurs. Elle se souvient à quel point elle s'ennuyait, enfant, malgré une enfance « idéale, pleine d'amour et de sécurité ». « Il me fallait peut-être plus de stimulation. J'avais 6 ans et j'avais envie de voir le monde à l'autre bout de l'océan », raconte-t-elle.

Ce n'est qu'à 14 ans qu'elle a enfin la chance d'aller à l'étranger. « Je suis allée loin, loin dans le Sud, comme on dit en Islande... au Danemark ! », dit l'écrivaine avec cet humour flegmatique qui ponctue chacune de ses réponses.

Défaire les stéréotypes

Depuis un an, celle qui a longtemps enseigné l'histoire de l'art à l'Université de Reykjavik peut désormais se consacrer pleinement à l'écriture.

Auður se rappelle qu'à l'âge de 7 ans, lorsque son professeur avait demandé aux élèves ce qu'ils voulaient devenir, elle songeait déjà à être écrivaine. Puis ce rêve s'est effacé jusqu'à ce qu'elle se surprenne, des années plus tard, en corrigeant des livres d'enfants, à rajouter des chapitres ou à en modifier la fin. « J'ai toujours eu une imagination importante et je regardais sans m'en rendre compte le monde en biais », confie-t-elle.

Si elle écrit, aujourd'hui, c'est dans l'espoir de mettre un peu de lumière dans le monde où l'on vit et de voir les modèles qu'elle imagine se réaliser. Par exemple, que les hommes puissent comprendre la valeur de la paternité, à l'image du héros de Rosa candida, et voir « que c'est une grâce - le rôle le plus important dans la vie ». 

« L'image de l'homme que reflètent les médias, la publicité et les films est unilatérale. Ça peut être difficile de s'y identifier. Avec Rosa candida, j'ai voulu montrer qu'il y a d'autres types d'hommes. »

C'est également dans le but de défaire ces stéréotypes de masculinité et de féminité que l'écrivaine s'intéresse aux paradoxes qui nous rendent humains. « Les femmes possèdent 1 % des biens du monde, mais elles font 80 % du travail du monde. Pour moi, le féminisme, c'est pour les deux sexes puisque ça signifie qu'on partage les devoirs, les responsabilités et les bénéfices. »

Après trois romans essentiellement consacrés à la féminité ‒ L'embellie, L'exception et Le rouge vif de la rhubarbe -, Auður Ava Ólafsdóttir a souhaité renouer avec un héros masculin dans son plus récent roman, qui n'a pas encore été publié en français.

D'où puise-t-elle son inspiration ? « La poésie réside dans la vie quotidienne », répond-elle. Du reste, l'écrivain doit passer par la nature, selon elle, chaotique, capricieuse et imprévisible ‒ à l'image de la vie et de « l'île noire » qui est sienne.

Photo fournie par Zulma

Rosa candida

Photo fournie par Zulma

L'embellie

Un nouveau roman pour septembre

Les lecteurs francophones ont de quoi se réjouir : le nouveau roman d'Auður Ava Ólafsdóttir, paru en novembre dernier en Islande, sera prêt à temps pour la rentrée littéraire de l'automne prochain. Ör - qui signifie « les cicatrices » en français - a reçu le prix des libraires en Islande et sera traduit par Catherine Eyjólfsson, à qui l'on doit également la traduction des quatre premiers romans de l'auteure. Il raconte la crise existentielle d'un homme au bord du suicide et pose « des questions importantes sur la virilité », promet Auður Ava Ólafsdóttir.

Les quatre romans d'Auður Ava Ólafsdóttir

ROSA CANDIDA 

2010

Ce premier roman traduit en français est en fait le troisième de l'auteure. L'écrivaine a voulu se pencher sur les thèmes de la sensibilité masculine et de la paternité en créant un jeune père par accident qui parvient à assumer plusieurs rôles à la fois.

L'EMBELLIE

2012

Ce roman sur la sensibilité féminine et la maternité a précédé Rosa candida dans l'écriture et permis à l'auteure « d'être prise au sérieux ». Elle admet avoir pris grand plaisir à écrire l'histoire d'une femme qui décide de se lancer sur la route circulaire par un pluvieux mois de novembre.

L'EXCEPTION

2014

Dans ce roman où le personnage de l'écrivaine naine représente son alter ego, Auður a voulu montrer qu'il n'existe pas un seul modèle de couple ou de parent. « La paternité et la maternité ne sont pas dans nos gènes, c'est quelque chose qui s'apprend. »

LE ROUGE VIF DE LA RHUBARBE 

2016

C'est son premier roman, même s'il est le dernier à avoir été traduit en français. Il pourrait être l'histoire de son enfance, dit Auður, puisque ses grands-parents habitaient un village semblable dans le nord de l'île. L'héroïne, une adolescente solitaire, différente, mais néanmoins « forte dans sa faiblesse », y représente l'éveil de la féminité.