Le Canada est tendance en littérature. Ce n'est pas nous qui le disons, mais le célèbre magazine britannique Granta. Alors que les traductions d'auteurs canadiens-anglais pleuvent dans nos librairies, découvrez sept de ces nouvelles voix.

La consécration en littérature mondiale passe par Granta. Le magazine fondé à Cambridge a publié, au cours des ans, des textes de Milan Kundera, Zadie Smith, Gabriel García Márquez et Salman Rushdie. Cette prestigieuse publication trimestrielle prépare en ce moment un numéro (qui compte généralement entre 250 et 350 pages) sur le Canada.

Les responsables de ce numéro spécial Canada, qui sortira à l'automne, Catherine Leroux et Madeleine Thien, ont reçu près de 1000 propositions de textes, dont plus de 70 en français.

«Granta veut traduire l'ensemble du numéro en français. On verra si c'est possible. Nous avons eu carte blanche, dit Catherine Leroux. Le magazine privilégie la nouvelle écriture, mais nous avons reçu des choses superbes autant de la part d'auteurs connus que de purs inconnus. Le nombre de propositions nous a renversées. C'est une vitrine extraordinaire pour notre littérature.»

Ce n'est donc pas un hasard si les traductions d'auteurs canadiens-anglais pullulent en ce moment dans nos librairies.

«La littérature canadienne-anglaise est bien vivante. Il y a une spécificité canadienne qui n'a rien à voir avec la littérature américaine», explique Jean-Marie Jot, directeur des Allusifs et prospecteur pour Leméac.

«Il y a un foisonnement, un regain d'intérêt facilité par le Conseil des arts du Canada», poursuit-il.

Le Conseil subventionne les traductions du Québec vers le Canada anglais et vice versa. Le CAC organise aussi depuis quelques années la Foire de la traduction.

«Désormais, elle se tient en marge du Salon du livre de Montréal, note le directeur d'Alto, Antoine Tanguay. C'est l'occasion pour les éditeurs anglophones et francophones de se rencontrer et de présenter nos nouveautés respectives. Elle a permis à plusieurs éditeurs de s'ouvrir à la traduction d'auteurs canadiens de l'autre langue officielle. Mais il y a depuis deux ou trois ans un engouement réel et je crois qu'une barre a été franchie.»

Maritimes

Chez Marchand de feuilles, la découverte de l'autre solitude s'est fait grâce à l'auteure Lisa Moore. La maison vient de publier trois romans des Maritimes en trois mois (Le poids de la lumière, d'Alexander MacLeod, Les habitudes alimentaires des mal-aimés, de Megan Gail Coles, et Écorchée, de Sara Tilley).

«J'étais à Stockholm avec Lisa Moore. Elle m'a vraiment inspirée en me faisant découvrir Sara Tilley et Megan Gail Coles, note Mélanie Vincelette. Il y a une universalité dans ces voix féminines extrêmement fortes. Ce n'est pas très éloigné de notre tradition orale au Québec.»

L'éditrice avait déjà entamé la traduction du roman d'Alexander MacLeod (Nouvelle-Écosse) quand elle a découvert Terre-Neuve. Dans les trois livres, elle voit une certaine ligne conductrice: mélancolie miraculeuse, humour, pathos, amour impossible...

«C'est touchant, vrai et très incarné. Sara Tilley portait son livre en elle depuis 30 ans. J'adore les premiers livres et je me sens chanceuse de les avoir découverts.»

«Les Maritimes, on n'y pense pas forcément quand on pense littérature, ajoute Jean-Marie Jot. Mais c'est foisonnant. Il y a des éditeurs et des auteurs de qualité.»

Sensibilité

Les Allusifs fera paraître Sweetland de Michael Crummey à la prochaine rentrée. L'automne dernier, c'était 100 jours de pluie de Carellin Brooks, auteure de Vancouver. 

«Dans ce roman, il y a une trame très simple qui tourne autour d'une séparation et de la pluie qui tombe sans cesse à Vancouver. À partir de ça, c'est tout à fait remarquable, croit Jean-Marie Jot. Elle calque ses émotions sur la réalité, ce qui est caractéristique des auteures canadiennes. C'est à la fois dans le ton poétique et dans le style narratif avec un regard et une sensibilité particuliers.»

Une sensibilité pas si différente de la nôtre au Québec dans le fond. 

«Nos mondes sont différents, comme nos origines, pense Antoine Tanguay, mais l'impulsion est semblable. Nous sommes aussi différents des auteurs américains, car nous ne partageons pas la même mythologie. L'imaginaire canadien entretient d'étroits liens avec celui des Québécois, mais les sphères littéraires obéissent à des usages différents.» 

«J'ai toujours cru que les histoires qui nous emportent se moquent de la notion de frontière.»

Québec-Canada

Mélanie Vincelette estime que «les Canadiens sont éloignés de nous, mais ils carburent, comme nous, au vin rouge et à la culpabilité. Les Terre-Neuviens nous ressemblent plus qu'on pense. Ils sont drôles, truculents. Différents des autres Canadiens».

Pour Antoine Tanguay, qui a publié des auteurs canadiens-anglais comme Emily Schultz, Steven Galloway et Annabel Lyon, il reste cependant des différences fondamentales.

«L'innovation me semble plus vibrante au Québec, même si je ne suis peut-être pas objectif, mais elle demeure marginale sur les deux versants du Canada, malheureusement. Les sujets sont souvent les mêmes partout : le flou des origines, la famille, le poids de l'histoire, le conflit entre les générations, la solitude de l'homo modernus. Les écrivains d'ici ont brisé leurs chaînes et ils se comparent aisément à leurs collègues un peu partout sur le globe.»

PHOTO ROBERT SKINNER, archives LA PRESSE

Antoine Tanguay, directeur d'Alto