L'ouvrage collectif Sous la ceinture présente les nombreux visages de la culture du viol. Ses auteurs, issus de la génération Y, espèrent susciter la discussion.

Nancy B. Pilon a malheureusement le sens du timing. Son livre sur la culture du viol paraît alors que des récits d'agressions sexuelles font la manchette. En toile de fond, des initiations dégradantes, des propos violents à l'endroit de jeunes femmes dans les réseaux sociaux, Donald Trump... L'actualité est riche en exemples de toutes sortes pour illustrer que cette culture est bien vivante.

Enseignante dans une école primaire pour élèves handicapés, Nancy B. Pilon a eu l'idée d'un livre sur le sujet il y a deux ans, au moment de l'affaire Ghomeshi. Un commentaire en particulier, lu sur Facebook, l'avait fait bondir.

« Une dame écrivait : "Quand tu t'habilles pour te faire violer, tu ne dois pas t'attendre à ce qu'il t'arrive autre chose", raconte la jeune femme en entrevue. Ça m'a enragée, surtout de la part d'une femme. Puis, dans la vague #AgressionNonDénoncée, j'ai réalisé qu'autour de moi, toutes les filles avaient vécu, à divers niveaux, des épisodes de violence sexuelle. J'ai eu envie d'aborder le problème, mais je ne savais pas comment en parler. C'est un sujet tellement vaste. »

C'est quoi, la culture du viol ?

On entend beaucoup parler de culture du viol ces jours-ci, mais chacun semble avoir sa définition. Pour l'auteure de Sous la ceinture, on parle de culture pour décrire un ensemble de comportements qu'on a au quotidien et qu'on ne remet plus en question. La culture du viol comprend aussi la banalisation de la violence sexuelle, la culpabilisation de la victime, l'incompréhension de la notion de consentement et l'incapacité du système judiciaire à vraiment écouter les victimes.

« Nous sommes tous plus ou moins responsables de perpétuer cette culture, et c'est pour cette raison que j'ai voulu donner la parole à des femmes et à des hommes dans le livre », explique Nancy B. Pilon, directrice de Sous la ceinture.

« Les filles y participent en répétant des comportements et des propos. Mais ce sont également elles qui élèvent les hommes de demain. Bref ce n'est pas qu'une affaire de femmes ou d'hommes, c'est un problème de société », indique l'enseignante.

Il faut en parler

Sous la ceinture est un livre hybride à la forme éclatée qui mêle récits, fiction, poésie, théâtre, textes narratifs et d'opinion. « Il y a suffisamment d'essais pointus sur la question, note la directrice de Sous la ceinture. J'avais envie d'un ouvrage plus éclaté et plus grand public qui présenterait des tableaux pour montrer différentes situations qui illustrent la culture du viol. Chaque auteur présente son angle et on espère que le lecteur se reconnaisse dans au moins un texte du livre. »

Parmi eux, on retrouve Aurélie Lanctôt, Judith Lussier, Koriass, des plumes qu'on a déjà lues sur le sujet, mais également des romanciers comme Sophie Bienvenu, Simon Boulerice ou l'artiste multidisciplinaire Natasha Kanapé Fontaine... « Je souhaitais offrir la parole à des gens qui ne se prononcent habituellement pas sur ce sujet afin de montrer qu'on est plusieurs à en avoir assez », souligne Nancy B. Pilon.

Comme l'enseignante n'est jamais loin, elle souhaite que le livre devienne le point de départ de discussions et d'échanges dans les écoles secondaires et les cégeps. « Ce n'est pas un livre pédagogique dans le sens strict du terme, précise-t-elle, mais je pense que l'éducation est au coeur de la déconstruction de la culture du viol et que ce livre peut devenir un bon outil pour l'aborder. »

Sous la ceinture: unis pour vaincre la culture du viol

• Nancy B. Pilon et collaborateur

• Québec Amérique

• 220 pages

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La famille Ferron a profondément marqué le Québec et cette nouvelle collection de 500 lettres - la plupart inédites - nous permet d'entrer davantage dans leur intimité, d'être témoin de leurs échanges. Dans une très belle langue, les frères et soeurs correspondent avec passion, causent littérature, liens familiaux, et petits détails du quotidien. Ils se provoquent les uns les autres, n'ont pas peur d'aborder des questions plus délicates. Ils réfléchissent à haute voix, se remettent en question. Leurs échanges sont brillants et vifs. Le ton est empreint de respect et de tendresse. Chaque membre de la famille incarne à sa façon un archétype de son époque et de la société québécoise. On referme le livre en se disant que la famille Ferron est un véritable trésor patrimonial.

Le droit d'être rebelle

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• Boréal

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My Own Words: sages paroles

À 83 ans, Ruth Bader Ginsburg, nommée juge à la Cour suprême des États-Unis par Bill Clinton en 1993, est une juriste respectée qui a marqué l'histoire entre autres pour sa lutte contre l'inégalité entre les genres. Mais sa réputation dépasse les frontières du monde juridique. RBG, comme on l'appelle chez nos voisins du Sud, est une véritable icône. Elle a inspiré des opéras, des tatouages, on trouve des t-shirts à son effigie et Natalie Portman l'incarnera bientôt au cinéma. Mary Hartnett et Wendy William travaillent depuis 2003 à la biographie de cette grande dame, mais attendent sa retraite pour la publier. D'ici là, les deux auteurs nous proposent une série de textes, discours et confidences de RBG, qui demeure toujours brillante et inspirante.

My Own Words

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En quête de l'Étranger: sur les pas de Camus

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En quête de l'Étranger

• Alice Kaplan

• Gallimard

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À l'heure de l'autofiction et de l'authenticité à tout prix, quel est le rôle de la fiction en littérature ? L'inconvénient consacre tout un dossier à la question. La production romanesque actuelle y est qualifiée d'exercice narcissique qui produit des « pseudo-romans ». « La fiction, la vraie, est un choix difficile qui exige du romancier qu'il se détache de sa propre existence et qu'il se mette au service d'une histoire », écrit-on en introduction de ce dossier qui est un plaidoyer pour la fiction pure. Parmi les textes qui valent le détour : un dialogue sur le roman d'apprentissage entre l'historien Éric Bédard et l'auteur Dominique Garand et le texte d'Olivier Maillart au titre amusant : « Comment continuer à servir la littérature quand on est un mauvais écrivain ». Sa solution ? Devenir un personnage de roman.

À quoi sert la fiction ?

• L'inconvénient

• Automne 2016