Dans Franchir la mer, le journaliste allemand Wolfgang Bauer raconte le drame des réfugiés syriens qui risquent leur vie en traversant la mer. Entrevue avec un journaliste téméraire.

On peut dire que Wolfgang Bauer n'a pas eu peur de se mouiller pour raconter l'histoire des Syriens qui quittent leur pays en guerre à la recherche d'une vie meilleure en Europe. Il s'est fait passer pour l'un d'eux afin d'expliquer leur dangereux périple de l'intérieur. Son récit - publié à l'origine dans l'hebdomadaire de gauche Die Zeit - est à la fois terrifiant et captivant. Surtout, il permet de comprendre le drame de ces gens qui sont prêts à tout laisser derrière eux pour recommencer ailleurs, en sécurité.

« J'ai voulu raconter cette histoire parce que je connaissais les deux côtés de la médaille, lance le reporter allemand de passage à Montréal dans le cadre du Festival international de la littérature. Je savais d'où venaient les réfugiés, car j'ai couvert la guerre en Syrie plusieurs fois, et je sais ce qu'ils fuient. De l'autre côté, je sais que mes compatriotes allemands sont de plus en plus inquiets de la situation. J'ai ressenti l'obligation de faire le pont, de faire comprendre aux Allemands pourquoi et dans quelles circonstances ces gens arrivent chez nous. »

UNE AVENTURE DANGEREUSE

Dans Franchir la mer, on accompagne donc une poignée de réfugiés tout au long de leur périple. On attend avec eux, on vit les faux départs, la peur, l'angoisse, l'inquiétude de ceux qui sont restés.

Habitué à écrire de très longs articles, Wolfgang Bauer s'est préparé pendant plusieurs mois pour ce reportage hors de l'ordinaire. Il s'est d'abord renseigné sur le nombre de bateaux qui se rendaient à bon port. On lui a répondu que sur 69 bateaux qui avaient quitté l'Égypte et la Libye, 67 étaient arrivés en Italie.

« Je me suis dit que c'était dangereux, oui, mais pas suicidaire. C'est d'ailleurs pour ça que des milliers de personnes continuent à prendre le risque », dit le journaliste.

Après les préparations d'usage - se munir de téléphones satellites et d'une combinaison, aviser des avocats qui pourraient intervenir en cas d'arrestation -, le journaliste s'est inventé une identité. Avec ses traits, impossible de passer pour un Arabe. Il serait donc un citoyen de la région du Caucase qui fuit son pays pour des raisons politiques.

L'expérience ne sera pas de tout repos. Kidnappé, emprisonné puis relâché après que des passeurs eurent payé une rançon pour récupérer leurs « clients », Wolfgang Bauer est finalement arrêté puis expulsé vers la Turquie avec son photographe. Mais il garde le contact avec les réfugiés de son petit groupe de fortune qui lui racontent en détail le reste du périple, une fois en sécurité dans leur pays d'accueil.

HUMAIN AVANT TOUT

L'aventure ne se termine pas là. Quelques mois plus tard, Wolfgang Bauer est arrêté une seconde fois. Le reporter est accusé de trafic humain pour avoir aidé deux frères égyptiens avec qui il avait fait une partie de la traversée à passer la frontière.

« Quand nous avons été kidnappés avec eux en Égypte, mon photographe et moi leur avions promis de les aider à entrer en Allemagne. C'était une question de dignité pour moi. Nous avions passé beaucoup de temps avec eux, nous avions eu peur avec eux, mais nous étions dans deux classes différentes. Moi, j'avais mon passeport allemand qui m'ouvre toutes les portes et qui vient avec des privilèges. Avec un tel passeport, comme avec votre passeport canadien, il y a peu de frontières qu'on ne peut pas franchir. Ce n'est pas leur cas. »

Bauer et son photographe ont donc cueilli leurs deux amis en Italie pour les faire entrer en Autriche. Mais à la frontière, des policiers les attendaient. « J'ai été naïf. J'étais probablement suivi », observe le reporter qui risquait huit ans de prison pour avoir joué au passeur. « "T'es dans la merde", m'ont dit les policiers. Mais je leur ai expliqué les motifs journalistiques et humanitaires à l'origine de mon geste et je m'en suis finalement sorti. »

Face aux drames que vivent les réfugiés, Wolfgang Bauer a donc décidé de laisser la sacro-sainte objectivité de côté et de se mouiller, dans tous les sens du terme.

« Avant d'être un journaliste, je suis un être humain, insiste-t-il. J'ai été transparent, j'ai tout écrit dans le livre. Je permets au lecteur de juger de la situation. Mais même en situation de crise, je privilégierai toujours mon éthique personnelle plutôt que mon éthique journalistique. »

Franchir la mer -  Récit d'une traversée de la Méditerranée avec des réfugiés syriens

Wolfgang Bauer

Lux éditeur

152 pages

Image fournie par Lux éditeur

Franchir la mer - Récit d'une traversée de la Méditerranée avec des réfugiés syriens, de Wolfgang Bauer