Le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik, reconnu internationalement pour ses nombreux ouvrages sur la résilience, s'est intéressé à la figure du héros. Il était de passage à Montréal récemment. Entretien.

Qu'est-ce qui vous a incité à réfléchir aux héros?

Depuis des années, j'écris sur la résilience, mais il y avait des points qui n'avaient pas été explorés. Quelle est la fonction du héros pour un enfant ou un adulte blessé? Pourquoi avons-nous besoin de héros? J'avais envie de répondre à ces questions.

Comment définissez-vous le héros?

C'est une image qui révèle ce dont on a besoin. C'est un homme ou une femme - mais surtout un homme - qui met en scène un comportement ou un scénario qui révèle ce à quoi on aspire. Il a une fonction psychologique importante. Le petit enfant qui est faible a besoin de héros et le premier héros, c'est maman. Elle est là, j'ai pas peur ! Le deuxième héros, c'est papa. Je vais aller dans la rue et papa va tuer tous les méchants. Si je suis un enfant en difficulté, j'ai besoin d'une image sociale de héros, d'une image de fiction (roman ou film) de façon à pouvoir mieux rêver à ce à quoi j'aspire quand je serai grand. Cette fonction d'identification est nécessaire et importante pour un enfant.

Que peut-on dire à propos de l'adulte à la recherche d'un héros?

Autant c'est nécessaire, mignon et charmant quand on est enfant, autant cela peut être dangereux quand on est adulte. L'adulte aura tendance à inventer un héros maléfique, terroriste, vengeur... Si c'est le cas, ça prouve que là, on est en difficulté.

Vous dites que les héros sont plus souvent des hommes que des femmes. Pourquoi?

Jusqu'à maintenant, dans l'histoire, les sociétés se sont construites par la violence et ce sont surtout des hommes qui ont fondé les sociétés. Les femmes, elles, sont moins douées pour la violence. Elles transgressent moins. La preuve : dans les prisons et chez les délinquants, il y a très peu de femmes.

Quelle est la différence entre le héros et le modèle?

Le héros est sacrifié, le modèle est adoré. La petite fille qui dit: «Quand je serai grande, je serai une maman comme ma maman...» La maman est un modèle, elle n'a pas envie de mourir, elle n'a pas envie de tuer personne alors que le héros désire mourir pour nous sauver.

Les États-Unis en 2016 et la France en 2017 seront en année électorale. Que dire de ces campagnes électorales dans le contexte de la recherche de héros?

Quand un candidat dit: «C'est moi ou le chaos», il se présente en sauveur. Sarkozy utilise cela. Trump aussi. Les deux nous disent: «Je suis prêt à tuer pour vous sauver.» Quand un candidat avoue à son insu qu'il veut être dictateur, il a intérêt à aggraver le sentiment de danger pour qu'on vote pour lui, le sauveur. Parfois, le danger existe et il y a un vrai danger. Parfois, c'est lui qui le suscite pour se faire élire. Ça illustre les limites de la démocratie.

Au cours des derniers mois, il y a eu plusieurs cas de jeunes gens qui ont quitté Montréal pour aller faire le djihad. Comment l'expliquez-vous?

Quand l'adolescent, le jeune homme s'engage pour aller faire le djihad, c'est une preuve de défaillance culturelle. La culture québécoise comme les cultures occidentales n'accueillent plus les adolescents. Elles ne proposent plus aux jeunes un projet d'existence qui les stimule. Ils peuvent très bien avoir une vie remplie, mais quand on a 15 ou 20 ans, la vie confortable, ce n'est pas excitant. On veut vivre une épopée. Quand j'étais jeune, je travaillais à l'âge de 7 ou 8 ans. J'étais garçon de ferme, j'ai travaillé pendant toutes mes études. C'était difficile physiquement, mais mentalement, j'étais fier de moi. Aujourd'hui, les jeunes n'ont plus de projets d'existence alors ils s'engagent dans la vie et ils se cherchent. Certains paient leur voyage et s'engagent dans des organismes pour aller sauver les Africains. C'est généreux de leur part, mais au fond, ils se cherchent une épopée.

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Ivres paradis, bonheurs héroïques. Boris Cyrulnik. Odile Jacob, 230 pages.

Photo fournie par la maison d'édition

Ivres paradis, bonheurs héroïques

Boris Cyrulnik

Odile Jacob, 230 pages