Il est donné à peu d'écrivains d'être associés à la création d'un genre littéraire. On pense d'emblée à Jules Verne pour le roman scientifique, à Edgar Allan Poe pour l'extraordinaire ou à Alexandre Dumas pour le feuilleton historique. À cette courte liste, on doit ajouter Dashiell Hammett, père du roman noir américain.

Ce genre se distingue par son amoralité et sa brutalité: le flic n'est pas un personnage sophistiqué à la Hercule Poirot ou à la Sherlock Holmes, mais un voyou, souvent corruptible, porté sur la bouteille, le jeu et les conquêtes féminines. C'est Sam Spade dans Le faucon maltais, immortalisé à l'écran par Humphey Bogart. C'est le Continental Op, détective anonyme et dur à cuire au coeur de La moisson rouge et de nombreuses nouvelles de Hammett. Elles ont fait les délices des lecteurs de pulp fiction, ces périodiques imprimés sur du papier bon marché contenant des traces de pulpe.

Hammett se distingue de ses nombreux pairs non seulement par la qualité de ses scénarios, mais aussi par son écriture sèche, précise et objective.

Il se situe à l'opposé du romancier dieu, celui qui entre dans la tête de ses personnages et qui sait ce qu'il va leur arriver. Pour créer du rythme, du suspense, Hammett décrit, raconte comme s'il assistait à un film. Voilà pourquoi on a parfois l'impression de lire un scénario.

D'ailleurs, il en a écrit quelques-uns, dont le formidable Les rapaces, rassemblés dans Le chasseur et autres histoires

Ce recueil, constitué avant tout d'inédits, montre aussi que Hammett a tenté de s'éloigner du polar, sans pour autant abandonner tout à fait le noir qui marque son univers romanesque. 

Même son humour a des reflets d'obsidienne. Ainsi, dans la farce Les prodigieuses pilules Pentner, écrite vers 1927: «S'il n'avait pas mis le feu au divan, tu n'aurais pas détruit le coussin, les plumes n'auraient pas chatouillé le bout du nez du gangster, il n'aurait pas éternué, le coup ne serait pas parti tout seul, la balle n'aurait pas convaincu M. Pentner que tu voulais le tuer, et il n'aurait pas prévenu la police qui ne serait pas venue nous sauver. C'est d'une logique imparable.»

Mort en 1961, Hammett, qui avait été détective dans les années 20 avant de se lancer dans l'écriture, a droit à un regain d'intérêt depuis que sa succession a donné accès à ses manuscrits, il y a une dizaine d'années, sous la gouverne de Richard Layman et de Julie Rivett, sa petite-fille.

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Le chasseur et autre histoires est d’abord constitué d’inédits.

Cela nous a valu la première édition quasi complète de ses nouvelles en 2011 chez Omnibus sous le titre Coups de feu dans la nuit, qui comprend une dizaine d'inédits.

Cela donne lieu aussi à une vaste entreprise de retraduction de ses grands romans par Natalie Beunat. Les versions françaises initiales qui remontent aux années 30, 40 et 50 sont souvent imprécises, voire inexactes.

Voici un exemple tiré du roman La clé de verre, vive dénonciation de la corruption politique: 

Dans la traduction de 1949 (Livre de poche no 1969): 

Harry Sloss ramassa les dés et les secoua dans sa grande main blanche et poilue.

- Je vous fais ça en deux coups.

Il laissa tomber sur la table un billet de vingt-cinq dollars et un de cinq.

Dans la nouvelle traduction (Folio policier no 680): 

Harry Sloss ramassa les dés qu'il entrechoqua dans sa large main velue à la peau pâle. «Mise à vingt-cinq.» Il jeta deux billets sur la table, un de vingt dollars et un de cinq.

Aujourd'hui, la quasi-totalité des titres de Hammett sont disponibles en français dans des traductions nouvelles ou soigneusement révisées. L'écrivain jouit d'une plus grande réputation dans la francophonie qu'aux États-Unis, où sa réputation a été salie par la commission McCarthy, ce qui l'a même amené à faire de la prison pour avoir refusé de dénoncer des camarades.

Voilà une raison de plus de le (re)lire.

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Coups de feu dans la nuit, publié en 2011, est la première édition quasi complète des nouvelles de Hammett.