YouTube a créé de nombreuses vedettes, dont les vidéos sont suivies par des millions de fans partout sur la planète. Une maison d'édition américaine a décidé de miser sur cette popularité pour encourager les jeunes à renouer avec la lecture. Le succès est au rendez-vous et - surprise! - les livres en papier sont préférés à ceux en format électronique. Portrait d'une tendance, aux États-Unis et au Québec.

«Nous créons une nouvelle manière de raconter des histoires.» Tel est le credo de Judith Kerr, directrice des collections Atria et Keywords de Simon and Schuster, qui se spécialisent dans les auteurs déjà célèbres grâce à YouTube. La Presse l'a interviewée.

Quelle est la genèse d'«Atria» et de «Keywords»?

Je participais en 2013 à un panel de producteurs numériques lors d'une conférence. J'ai rencontré quelqu'un qui m'a parlé d'un agent d'artistes qui avait une idée de livre écrit par un youtubeur. J'ai trouvé que c'était une excellente manière de vendre des livres à une nouvelle génération, et deux jours plus tard, nous avions une entente. J'ai attendu d'avoir six auteurs youtubeurs confirmés avant d'annoncer la nouvelle collection. Ç'a été tellement vite, on dirait que ça fait un siècle.

Avez-vous dû relever des défis particuliers avec ce type d'auteurs?

Oui. Comment dire... ils ne sont pas habitués aux longues trames narratives. Ils peuvent toujours tout effacer et faire mieux le lendemain. Leur public les écoute au plus pendant 10-15 minutes. Et pour repérer les youtubeurs qui feraient les meilleurs auteurs, j'ai dû mettre au point un système d'évaluation assez compliqué.

Pouvez-vous me donner un exemple?

Joey Graceffa nous a surpris avec des révélations qu'il ne pouvait faire dans une vidéo de cinq minutes, à propos de l'alcoolisme de sa mère, de son sentiment d'avoir à prendre soin de sa mère alors qu'il n'était qu'un enfant confiné aux classes pour les élèves ayant des troubles d'apprentissage, victime d'intimidation constante à l'école. Il a aussi fait son coming out homosexuel dans son autobiographie.

Votre formule a-t-elle évolué avec le temps?

Je n'ai pas vraiment de formule, des fois, je prends un seul youtubeur, des fois, je les apparie pour qu'ils écrivent à quatre mains. S'il y a eu évolution, c'est dans la quantité d'ouvrages de fiction, beaucoup plus grande qu'au début, où c'était surtout des autobiographies, des essais: les deux séries pour filles de Zoey Sugg ou le roman de l'Italienne CutiePieMarzia (Marzia Bisognin). L'autre nouveauté, c'est que les cloisons sont très élastiques avec la génération YouTube. Nous venons de faire Fat Dad, Fat Kid, avec un papa populaire sur YouTube - notre auteur le plus âgé, de loin - et l'un de ses cinq fils. C'est un défi de 30 jours de remise en forme qui crée une belle niche pour les parents. Je pense aussi à Rosanna Pansino, une jeune youtubeuse dont le livre de cuisine sur la décoration de gâteaux a attiré beaucoup de mamans avec leurs enfants d'âge préscolaire à une récente séance de signatures.

Les youtubeurs ont-ils un style différent?

C'est à la base une nouvelle forme d'écriture. Un peu autobiographique, mais avec un style plus vivant, plus à la première personne, avec beaucoup d'interactions avec le lecteur. Le nouveau livre de Ricky Dillon, qui est paru en juin, va encore plus loin avec des défis pour les lecteurs à chaque chapitre, et des mots-clics qui permettent d'aller en ligne former une nouvelle communauté et d'interagir avec l'auteur. C'est un peu comparable à l'évolution des autographes, qui prennent maintenant la forme d'un selfie avec la vedette, une vedette beaucoup plus accessible qu'avec le star-system traditionnel.

Vos livres intéressent-ils plus les filles ou les garçons?

C'est légèrement plus féminin, comme pour tous les livres. Mais il est impressionnant de voir combien les séances de signatures attirent des lecteurs différents sur le plan de l'âge, de l'origine ethnique, de l'orientation sexuelle. Avec les autres collections, les lecteurs sont plus typés, plus garçons ou plus filles, par exemple.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Dream House, de Mariza Bisognin

Les livres en format électronique sont-ils privilégiés par les acheteurs plus que pour d'autres types de livres?

Curieusement, non. J'ai demandé pourquoi et les lecteurs me disent que la communication sans écran leur semble plus intime. Personne ne peut les interrompre en plein milieu d'une phrase pour clavarder. C'est un endroit où ils sont seuls.

Les livres se vendent-ils bien en traduction?

Seulement la fiction. Chaque pays a ses vedettes YouTube dont les livres ne fonctionnent vraiment bien qu'en langue originale.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Girl Online, de Zoe Sugg