Parmi les auteurs montréalais les plus connus à l'extérieur du Québec se trouve l'écrivaine Heather O'Neill. L'automne dernier, le Guardian publiait même une lettre écrite par l'auteure en hommage à Montréal, la ville qui l'inspire. Pourtant, peu de gens résidant à l'est du boulevard Saint-Laurent connaissent son nom.

«Heather O'Neil est mon idole et j'adore son livre Lullabies for Little Criminals, dit l'éditrice de Marchand de feuilles, Mélanie Vincelette. Mais quand mes amis francos lisent son livre (La ballade de Baby), ils trouvent ça bien ordinaire. Il faut vraiment le lire en anglais pour apprécier sa narration magnifique.»

Et il faudrait surtout le retraduire. C'est que ce premier roman d'Heather O'Neil, best-seller instantané qui a été récompensé d'une foule de prix lors de sa sortie il y a dix ans, a été traduit en «français de France» par les éditions 10/18. «Il est traduit dans un argot grotesque», juge Mélanie Vincelette. Un problème qui n'est pas nouveau: les traductions franchouillardes des romans de Mordecai Richler avaient fait réagir les lecteurs québécois à l'époque - ils sont d'ailleurs «retraduits» depuis un an chez Boréal par Lori Saint-Martin et Paul Gagné.

Ainsi, alors que La ballade de Baby se déroule dans les quartiers populaires de Montréal, les personnages jurent en disant «putain», les élèves fréquentent le lycée...

«C'était horrible. Et en plus, comme je ne m'étais pas mêlée de la traduction, je n'étais même pas au courant de la façon dont ça avait été fait. Les journalistes me faisaient des commentaires en entrevue, je ne comprenais pas ce qui se passait», nous dit au téléphone Heather O'Neil, dont le plus récent livre, le recueil de nouvelles Daydreams of Angels, a été finaliste au Giller l'automne dernier. Elle vient aussi tout juste de mettre le point final à un nouveau roman qui se déroule dans le Montréal des années 30 et qui sortira en janvier 2017.

Pincement au coeur

La ballade de Baby est donc passé plutôt inaperçu lors de sa sortie en français au Québec. Et lorsqu'elle voit la reconnaissance dont jouissent en ce moment des auteurs comme Neil Smith et Sean Michaels, l'auteure montréalaise a un petit pincement au coeur. «Oui, ça me fait un peu de peine. Je suis née ici, mon père aussi! J'ai passé ma vie à Montréal et tous mes livres s'y déroulent. C'est sûr que j'aimerais davantage participer à la vie littéraire québécoise.»

Mais avec un éditeur à Toronto et un agent à New York, avance-t-elle, l'auteur n'a pas de grand pouvoir décisionnel.

«C'est le problème avec les grands éditeurs de Toronto et les agents. Ils ne travaillent pas avec les maisons québécoises et passent par Paris, déplore l'auteur de Niko et éditeur de la maison montréalaise Véhicule Press, Dimitri Nasrallah. Alors le grand deal se passe en France, pour ensuite revenir au Québec: ça s'est passé comme ça aussi au début avec Niko. Mais ce n'est pas logique, alors que je suis dans la même ville et que je connais tout le monde!» Niko a finalement été traduit par la maison québécoise La Peuplade.

L'idéal, croit Heather O'Neill, serait deux traductions pour ses livres: l'une en France et l'autre au Québec. «Puisqu'ils se passent tous à Montréal, c'est logique que le langage y corresponde.» Alors que son deuxième roman (The Girl who Was Saturday Night, 2014, finaliste aussi au prix Giller) est entre les mains des éditions 10/18, mais que la traduction n'est pas encore enclenchée - « Je ne suis pas abandonnée, mais c'est lent» - , elle promet qu'elle sera davantage à l'affût pour la suite des choses.

«Je vais régler ce problème.»