«O. K., il vaut mieux que je parle des grands écrivains», écrit Fabrice Luchini dans un de ces apartés dont il parsème ce que son éditeur décrit comme un «autoportrait littéraire».

Dans cette Comédie française, qu'il a finalement consenti à écrire, Luchini ne parle pas tant des nombreux films dans lesquels il a joué que de ce qu'il considère comme l'oeuvre de sa vie : ses spectacles dans lesquels il lit, récite, décortique, analyse et commente avec la verve qu'on lui connaît les textes de grands auteurs qui le passionnent. À la page 15, déjà, ceux qui ont eu le bonheur de le voir sur scène sont en terrain familier quand il écrit: «La Fontaine, comme disait Céline, c'est fin..., c'est ça... et c'est tout, c'est final.»

Céline, Louis-Ferdinand de son prénom, l'écrivain «le plus incontestable littérairement» qui a libéré Luchini deux fois plutôt qu'une. D'abord, quand Patrick-Jojo, un membre «formidablement poétique» de la bande d'intellectuels marginaux du quartier des Abbesses avec laquelle Luchini l'adolescent apprenti coiffeur frayait, a mis entre ses mains le livre qui allait transformer sa vie: Voyage au bout de la nuit. Et puis quand, en 1985, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud ont invité l'acteur «au parcours indiscernable» à interpréter les textes dudit Céline sur scène.

Cette aventure qui devait durer une semaine a donné naissance à une série de spectacles littéraires éclatés dont le petit dernier, intitulé Poésie?, fait salle comble à Paris ces jours-ci.

Luchini l'autodidacte qui affirme avoir été sauvé par la littérature a construit ce livre à la manière de ses spectacles. Ses rencontres avec le cinéaste Éric Rohmer et le sémiologue Roland Barthes sont telles qu'il nous les a racontées sur la scène du Monument-National en 2009 et dans le DVD de son spectacle Le point sur Robert: théâtrales et d'une irrésistible drôlerie.

Ce livre est surtout une autre occasion pour lui de redire toute son admiration pour ceux dont il se voit comme le passeur: Céline et La Fontaine, bien sûr, mais aussi Molière, Rimbaud, Nietzsche, Valéry et Philippe Muray, ce «maître de la dissidence, professeur d'anarchisme et pape des antimodernes » dont il cite longuement un texte décapant. De son spectacle consacré aux écrits de cet auteur méconnu, qu'il a joué des centaines de fois devant des salles pleines, il dira: «C'était Muray pour tous dans un formidable malentendu.»

Çà et là, Fabrice Luchini glisse une confidence sur la lassitude d'un spectacle sans magie, se lance dans une envolée délirante sur le «concept du scooter» ou médite sur le mystère de la poésie qui, par ses vertiges et ses silences, guérit l'homme en proie à la terrible lucidité qui l'empoisonne.

Comme il le fait à la télé française chaque fois qu'on lui en donne l'occasion, Luchini prend également ses distances d'avec la gauche dont le projet de société lui semble au-dessus de ses forces.

Il dit plutôt vivre le «miracle du surclassement» social dont rêvait son père. «Ce n'est pas par hystérie cabotine que je fais certains numéros, mais j'ai l'instinct du client, j'essaie de le faire venir dans ma boutique. Je tiens ça de mon père», dit-il également de son héritage.

Il ne reste plus qu'à souhaiter que Luchini vienne nous présenter son spectacle actuel. Une possibilité à laquelle il ne renonce pas dans sa préface à l'édition québécoise de Comédie française, où il répète combien ses séjours au Québec ont été «quasiment essentiels» tellement il n'avait «jamais vu nulle part une telle résistance, un si fort génie de vitalité pour la langue».

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Comédie française -  Ça a débuté comme ça... Fabrice Luchini. Flammarion, 256 pages.