On s'est amusé à poser la question à une foule de lecteurs et de personnalités du monde littéraire: doit-on finir un livre qui ne nous plaît pas? Force est d'admettre qu'elle divise (presque!) autant que le débat référendaire...

Dans le camp du Oui

«Je me force tout le temps. Parce que je vis ça comme un engagement, lire. Envers l'objet, les mots, l'auteur. Il se peut que je lise, parfois, en diagonale ou que je saute une page ou deux. Il peut m'arriver de crier ou de sacrer, aussi, à voix haute. Mais j'assume.» - Véronique Grenier, professeure de philosophie au cégep de Sherbrooke et écrivaine

«Oui! Parce que, un livre, ce n'est pas quelque chose qui s'appréhende en cinq ou dix pages. Sinon, ça voudrait dire que l'écrivain doit travailler très fort sur son début, alors qu'il n'est pas là pour séduire le lecteur. Au contraire, un livre, ça se déploie dans le temps et ça trouve sa cohérence dans son ensemble. Est-ce qu'on admire seulement le haut d'une peinture? Non, parce qu'une oeuvre, c'est un tout.» - Catherine Mavrikakis, professeure de littérature à l'Université de Montréal et écrivaine

«Je finis tous mes livres. C'est comme un trouble obsessif compulsif. Si j'interromps ma lecture, je mets le livre sur ma table de chevet jusqu'à ce que je le finisse. Parfois, ça peut me prendre jusqu'à 10 ans! Je crois que cette habitude me vient du cégep, avec les lectures obligatoires...» -Adèle Lacas, lectrice

«J'ai toujours terminé mes livres, parce que j'ai toujours voulu comprendre pourquoi je ne les aimais pas. Cependant, ça m'arrive de moins en moins de lire de mauvais livres... Avec le temps, j'ai développé mon nez: je sais quels auteurs je ne dois pas lire!» - Robert Lévesque, journaliste, critique littéraire et écrivain

«Je vais jusqu'au bout, parce que c'est la seule façon de bien conseiller mes clients à la libraire. Quand un livre est bon, je les encourage à persévérer. Quand un livre est vraiment mauvais, je leur enlève des mains!» - Caroline Le Gal, libraire à la Librairie Verdun

Dans le camp du Non

«J'ai perdu tellement de temps, au cours de ma vie, à terminer des livres que je n'aimais pas, que j'ai décidé, vers la cinquantaine, de leur donner désormais 100 pages pour me faire changer d'avis. Sinon, comme je le dis souvent, je les câlisse contre le mur!» - Michel Tremblay, écrivain

«Maintenant que j'ai des enfants et peu de temps pour lire, je me permets de me concentrer sur les lectures qui me parlent vraiment. Question de priorités et de gestion du temps.» - Mélissa Verreault, écrivaine

«On n'est même pas obligé de finir les bons! Les seuls livres qui m'intéressent, ce sont ceux qui posent une question. Cette question-là, elle est partout dans le livre. Tu l'attrapes à un moment donné et une fois que tu l'as attrapée, tu peux faire ce que tu veux: arrêter parce que c'est plus nécessaire de lire, ou continuer par plaisir de comprendre ce qui est en jeu. Mais, des fois, tu ne trouves pas les questions. Tu te demandes pourquoi ç'a été écrit et tu ne comprends pas. Tu ne dois pas rester en couple avec ces livres-là. Tu vas finir par te trouver niaiseux devant une littérature trop grande pour toi. La littérature ne veut pas des gens qui lui érigent des monuments.» - Mathieu Arsenault, écrivain

«Je suis comme un polyamoureux: je papillonne, feuillette, en lis 20 en même temps, les lâche, y reviens des mois plus tard... Cela étant dit, les meilleurs livres exigent souvent un effort...» - Maxime Nadeau, propriétaire de la librairie le Buvard à Gould

«Comme dit l'auteur Daniel Pennac, les lecteurs n'ont pas d'obligation. Par contre, ceux-ci sont loin de s'imaginer que les livres qu'ils lisent sont la crème de ce que reçoivent les maisons d'édition...» - Pascal Assathiany, directeur général aux Éditions du Boréal

«Lire, ce n'est pas un devoir. C'est une expérience qui se passe entre le livre et nous. Par contre, si le livre nous déplaît profondément, il faut se demander pourquoi. C'est une occasion d'en apprendre davantage sur nous-mêmes.» - Geneviève Thibault, fondatrice de la maison d'édition Le cheval d'août

«Lorsqu'il nous tombe des mains, il faut admettre notre incompatibilité. Mais l'évidence de notre déception apparaît rarement dès les premières pages, en partie à cause de la conspiration des éditeurs à soigner infiniment mieux le début que la suite d'un roman...» - René Homier-Roy, animateur de Culture Club à Ici Radio-Canada Première

«Je ne finis JAMAIS les livres que je trouve mauvais et je recommanderais à tout lecteur qui a fini ses études de faire la même chose. Parmi ces vaisseaux abandonnés, il y a pas mal de grands best-sellers et de livres à concours. C'est pas parce que tout le monde aime ça que t'es obligé d'aimer ça. Voilà un autre droit du lecteur.» - Samuel Archibald, professeur de littérature à l'Université du Québec à Montréal et écrivain

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Tremblay

Dans le camp des modérés

«On ne doit pas, mais on peut. Je l'ai déjà fait. Parfois, il est amusant de boire le mauvais vin jusqu'à la lie, juste pour voir jusqu'où ça peut aller, en vue d'élaborer un barème, par exemple.» - Éric Dupont, écrivain

«Non, la vie est trop courte! La lecture demande un effort, surtout dans le monde actuel où on passe constamment d'un élément à un autre. D'un autre côté, elle nous amène à nous forcer, ce qui, selon certaines études, est très bon pour notre cerveau.» - Marie-Louise Arsenault, animatrice de Plus on est de fous, plus on lit!

«Pour mon travail, même si je juge le livre mauvais parce qu'il ne me fait pas vibrer, je le termine pour être capable de faire une entrevue avec son auteur ou une recension honnête. Ces heures peuvent être pénibles; or, le travail n'est pas toujours une sinécure. Toutefois, quand il s'agit pour moi de faire mes propres choix, si je m'ennuie, je mets le livre de côté.» - Claudia Larochelle, écrivaine, journaliste, animatrice de Lire

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Louise Arsenault