La Française Camille Laurens joue encore sur le mince fil entre la réalité et la fiction. Roman à tiroirs qui s'ouvre sur différentes versions d'une même histoire, Celle que vous croyez, son nouveau livre, parle des jeux de l'amour au temps de Facebook. L'auteure de Ces bras-là y met en scène la presque cinquantenaire Claire, qui s'invente un profil d'une femme de 24 ans pour séduire un homme plus jeune, et qui en paiera le prix. Le résultat est un roman dur, drôle et dérangeant, qui ne laisse personne indifférent. Nous en avons parlé avec elle.

Vous parlez de « l'invisibilité » des femmes de plus de 50 ans, du droit au désir, de l'inégalité entre les hommes et les femmes à ce chapitre. Ce n'est pas tout le monde qui doit avoir envie d'entendre ça...

Eh bien, je vous le confirme ! Vous devriez voir le courrier que je reçois... Il y a une résistance, du côté des hommes et des femmes, à l'affirmation du désir féminin. On me dit que c'est dans la nature, qu'il faut l'accepter, qu'en haut de 50 ans, il vaut mieux « sortir du désir adolescent » et « passer à autre chose », en oubliant que c'est d'abord la culture qui veut ça. Comme si c'était normal que le désir féminin ne soit pas traité comme le masculin. Je ne m'attendais pas à ça à vrai dire, je pensais que c'était plus dans l'air du temps.

Il y a cependant de l'autodérision et de l'humour dans votre livre.

Mon personnage n'est pas une victime. Sa façon de parler, ses jeux de mots, son énergie, son discours ne sont pas plaintifs ou larmoyants.

Vous continuez à être sur la ligne entre la réalité et la fiction. Par exemple : un des personnages porte votre prénom et est écrivaine. Ce livre est en fait un grand leurre. Vous aimez jouer avec les lecteurs ?

Oui. Je renoue avec un côté ludique de mes premiers romans. J'ai envie de mener le lecteur en bateau. Ça fait partie du sujet de ce livre, la réalité virtuelle, ce qu'on peut croire et ne peut pas croire sur internet. Qu'est-ce que la vérité ? C'est mon grand sujet. Et je n'ai pas de réponse.

On a l'impression qu'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, tout le monde écrit sa propre fiction.

Oui, on peut tous s'inventer notre vie, se mettre en scène et s'orchestrer une vie fictive. Rien qu'avec notre pseudo, on se crée un personnage. Et après, on peut mentir de A à Z.

L'amour au temps de Facebook est-il plus compliqué ?

Je ne sais pas. Au fond, comme toujours, l'amour a un rapport avec l'imagination, avec les projections imaginaires qu'on fait sur l'autre. Ces projections sont seulement rendues plus faciles à susciter et à éprouver.

Dans votre livre en tout cas, tout est possible. Et finalement, la vraie histoire, on ne la connaît pas.

C'est ce qui se passe dans une histoire d'amour : on rencontre quelqu'un, mais on rêve beaucoup aussi à ce qui pourrait arriver par rapport à la réalité qui souvent est autre. C'est aussi une façon de montrer les échafaudages littéraires. Plutôt que de mener mes personnages de A à Z, je me suis dit que j'allais montrer toutes les possibilités qu'on pouvait imaginer pour chacun. C'est comme un labyrinthe. On va dans une direction, on tombe sur une impasse, on retourne en arrière, on prend un autre chemin, et finalement, ce n'est pas ça non plus. 

Ce qui va très bien avec le sujet du roman.

C'est là que j'étais contente, parce que la forme du livre allait avec le fond, le sujet.

Vous écrivez sur les réseaux sociaux, mais vous êtes à la fois juge et partie du phénomène. Vous ne vous mettez pas à l'extérieur pour l'observer, vous êtes dedans.

Je fais ça toujours, j'ai besoin de voir les choses de l'intérieur. Je n'écris pas sur quelque chose, mais depuis quelque chose. J'ai écrit ce livre depuis mon expérience des réseaux sociaux, depuis mon âge, depuis ma perception du féminin. 

Il y a une scène très douloureuse, où Chris, lorsqu'il découvre que son amoureuse a plus de 50 ans, la rejette brutalement. C'est extrêmement traumatisant.

Ç'a été le point de départ du livre, ce qui m'a donné envie de l'écrire. Cette violence...

La violence du rejet, on la sent tout le long du roman.

J'ai appuyé là où ça faisait mal. Ensuite, j'ai pris le parti romanesque, Claire est dans un hôpital psychiatrique, elle est ravagée et voit tout de façon très sombre. C'est vrai que la tonalité du livre suit ça. Il y a des trucs qu'on ne peut pas dire mollement, qu'il faut souligner de façon ferme. Ce n'est pas comme une anecdote personnelle, car ce n'est pas juste anecdotique.

Vous dites qu'il n'y a pas d'écriture sans désir.

Ça va ensemble. Le désir comme force vitale, mais comme manque aussi. C'est sur ce manque que se bâtit la littérature ; il y a une forme de mélancolie quand même. Pour moi, il y a un enjeu vital dans ce livre, qui n'est pas toujours perçu. Le désir donne envie de vivre. Alors dire aux femmes qu'à 50 ans « c'est fini, t'as plus qu'à aller faire du tricot », c'est un peu raide.

Vous dédiez ce livre à la mémoire de Nelly Arcan : ce n'est pas innocent, j'imagine.

En effet. Je trouve émouvant ce déchirement entre l'obsession de la perfection physique et la souffrance très grande du fait que c'était la seule chose qui intéressait les hommes. J'ai beaucoup pensé à elle, au fait qu'elle n'a pas pu vivre avec ça. Pour moi, Nelly Arcan est une figure du féminin dévasté.