Les droits d'auteur de Mein Kampf sont tombés vendredi dans le domaine public mais le pamphlet antisémite d'Adolf Hitler reste un tabou en Israël où le génocide occupe une place centrale et où l'enseignement de la Shoah est obligatoire.

Les droits de Mein Kampf (Mon combat) sont devenus propriété universelle après avoir cessé d'être détenus par le seul État régional allemand de Bavière, qui les avait reçus des forces d'occupation américaines.

Mais en Israël, sans être totalement prohibée, toute publication reste interdite à grande échelle, a indiqué le ministère de la Culture.

Et même si toutes les restrictions étaient levées, rares sont les éditeurs prêts à publier le livre qui porte en germe l'extermination des juifs. Quelque 180 000 rescapés de l'Holocauste vivent en Israël, selon la fondation pour le bien-être des survivants de la Shoah.

«Même si on me payait pour ça, je ne le publierais pas», affirme Murray Greenfield, qui a fondé les Éditions Gefen spécialisées dans l'histoire du judaïsme. «Ma femme a survécu à l'Holocauste» et «pour ce livre-là, on se censure même si on est contre la censure en général», dit-il à l'AFP.

Dans les faits, l'ouvrage est déjà abondamment diffusé dans certains pays et il «est disponible en ligne», souligne Dan Michman, qui dirige le centre de recherche sur l'Holocauste de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem. «Douze millions de copies ont été imprimées en Allemagne, donc ce n'est pas une rareté», même en Israël.

«Aucun éditeur ne le publierait»

Le seul livre jamais écrit par Hitler est aussi accessible, dans une version raccourcie par rapport à l'original de 720 pages, dans les universités israéliennes, résultat de la campagne menée à la fin des années 1980 par Dan Yaron.

Ce survivant des camps de la mort s'était battu pour que le livre, totalement interdit jusqu'alors, soit publié en hébreu à des fins pédagogiques.

«Pour lui, il était important que les gens lisent ce que le dirigeant (nazi) disait, pour qu'ils sachent et fassent tout pour empêcher que de tels évènements ne se reproduisent», explique Dan Michman.

M. Yaron, mort en 1999, avait approché Yad Vashem, qui n'avait pas pu réaliser son projet à l'époque, par manque de fonds, explique M. Michman. C'est finalement l'Université hébraïque de Jérusalem qui l'a financé et fait en sorte qu'on puisse lire Mein Kampf dans les universités et les instituts de recherche.

Mein Kampf a un statut particulier en Israël. De nombreux autres pamphlets antisémites circulent bien plus librement, comme «le Protocole des sages de Sion», ouvrage antisémite du début du XXe siècle qui accuse les juifs de comploter pour dominer le monde et auquel on prête d'avoir inspiré Hitler.

«C'est l'un des pamphlets les plus antisémites du XXe siècle, mais il est partout», explique Meir Litvak, spécialiste des écrits sur l'Holocauste. «En revanche, dans le cas de Mein Kampf, «il y a un rejet dû à l'émotion et aucun éditeur ne le publierait».

La prochaine réédition commentée de Mein Kampf en Allemagne a trouvé une résonance particulière en Israël. Cette réédition par l'Institut d'histoire contemporaine de Munich est annoncée pour début janvier. Elle est accompagnée de 3500 notes explicatives. La publication du livre restera proscrite en Allemagne si elle n'est pas commentée et contextualisée.

Dan Michman souligne l'importance de ce projet, pour une meilleure compréhension du livre. Cette version annotée «contiendra de nombreuses questions autour du texte: où Hitler a trouvé ses idées et, quand il fait des propositions, les notes expliqueront si et comment elles ont été appliquées».