Prenez une franche dose de cynisme à la 99 francs, ajoutez-y une poignée d'ironie, une quête initiatique à travers l'Amérique et touillez avec l'exhibitionnisme des réseaux sociaux. Voilà, vous avez entre les mains Attends-moi, premier roman du Montréalais Arjun Basu, qu'on connaît d'abord pour sa microlittérature sur Twitter.

En quelque 400 pages, on fait la connaissance de Joe Fields, rédacteur publicitaire qui a tout pour lui: la carrière, l'argent et l'appart près du très branché Meatpacking District, à New York. Or, ce fils d'immigrants dans la mi-trentaine n'est pas heureux. Suintant de cynisme, il entendra une voix, flottera au-dessus de son corps et enfin verra l'Homme sur un blanc destrier qui sent... la lessive. Il commencera une quête initiatique dans les escaliers de son immeuble, en attendant de nouveaux indices de sa vision. Une passivité qui rendra fous les médias. En parallèle, on découvre un Joe barbu qui pèle des pommes dans un ranch cinq étoiles au Montana. Et voilà l'accroche: comment en arrive-t-il là et comment va se dénouer sa quête?

L'auteur a accordé une entrevue à La Presse. Mécanique de son roman en cinq mots.

MÉDIAS

Ils sont partout, poursuivent Joe dans sa quête et créent de la nouvelle surtout lorsqu'il n'y en a pas. «C'est un roman très social, d'une époque où on parle de marque personnelle, de vie privée dans les réseaux sociaux, de la convergence des nouvelles et du divertissement. De nos jours, on peut se plaindre sur notre vie privée, mais on le fait sur Facebook», dit Arjun Basu, qui travaille comme directeur de contenu marketing. Une coïncidence que son personnage soit aussi dans la publicité? «J'ai surtout voulu un personnage au coeur de toutes ces convergences, à l'aise et cynique par rapport aux caméras, aux médias. Il peut percevoir ce que le journaliste peut faire de son histoire, mais ne peut pas arrêter ça.

Joe est la cause de ce phénomène, mais il en est aussi la victime.»

BONHEUR

La voix de l'Homme parle à Joe plus que ne le fait son mode de vie enviable. L'antihéros entreprend une quête qui devrait être solitaire, mais que le monde suit avidement. «Fait-il vraiment une quête dans ce cas? [...] Je pose beaucoup de questions, sans forcément donner de réponses, souligne Arjun Basu en rigolant. Est-ce que le travail de nos parents, de vivre au même endroit, nous assure encore le bonheur? C'est quoi d'être heureux? La poursuite du bonheur est inscrite dans la Constitution américaine. Beaucoup de pays promettent l'égalité, mais la quête du bonheur est très américaine.»

AMÉRIQUE

Road trip, quête mystique, paysages, on nage en plein roman américain. Ce n'était pourtant pas l'ambition de l'auteur, dont l'idée première lui est venue en trois flashes. «Ça a commencé avec un gars qui attend dans les escaliers. Une image très montréalaise, raconte celui qui a été grandement influencé par la littérature américaine, tout comme Daniel Grenier (L'année la plus longue, Le Quartanier), qui a traduit le livre en français. La deuxième, c'est le même gars dans une minifourgonnette avec un Japonais. Et la troisième se passe à la fin de l'histoire. J'ai jonglé avec ces images en tentant de les relier. Quand l'histoire s'est mise à tourner autour des médias, de cette idée très américaine du bonheur, New York s'est imposé. Il concentre toutes ces tendances. Parce qu'à New York, rien ne surprend.»

JAPONAIS

Présenté comme d'éternels touristes au goût étrange ou en auto-stoppeurs, les Japonais sont très présents dans Attends-moi. «Quand on voyage, surtout aux États-Unis, on trouve toujours des touristes japonais, d'un hôtel-boutique à New York jusqu'à Banff, où les pancartes sont en anglais, français et japonais. C'est incroyable», dit celui qui a travaillé comme rédacteur en chef du magazine enRoute. L'un d'eux s'assoira dans la minifourgonnette de Joe. «Placer ainsi un étranger me permet d'en dire plus sur les États-Unis. Comme auto-stoppeur, ce jeune nippon a vu plus de ce pays que ne l'a jamais fait Joe! [...] C'est aussi une façon d'ouvrir une histoire qui se passe dans la tête du personnage principal.» Sans compter qu'il a une réaction bien différente au battage médiatique...

NATURE

Même la nature n'est pas épargnée par la plume désabusée d'Arjun Basu, qui plante la moitié du roman dans un ranch haut de gamme. L'idée que le rustique soit si léché l'interpelle. «On veut les randonnées avec le lunch de gourmet ou se faire masser dans un hôtel construit dans les arbres. On veut la nature sans le sauvage. Avoir à la fois l'artifice de la nature et le confort», dit-il en riant.