Le Barcelonais Enric Marco s'est fait passer pour un survivant des camps nazis pendant près de 30 ans. Comme L'adversaire, d'Emmanuel Carrère, L'imposteur, de Javier Cercas (Les soldats de Salamine, À petites foulées), est un roman sans fiction sur un homme dont la vie en est une, presque construite de toutes pièces.

Le romancier a rencontré plusieurs fois l'expert ès mensonges aujourd'hui âgé de 94 ans. Enric Marco continuait à lui donner pour réels des détails de sa vie qui ne s'avéraient pas...

Enric Marco n'a jamais rejoint la France à la fin de la guerre civile espagnole comme il l'a prétendu. Il n'a jamais été emprisonné à Marseille par la police de Pétain, livré à la Gestapo puis interné dans un camp près de Munich. En fait, il était allé en Allemagne comme travailleur volontaire, à la suite d'un accord entre Hitler et le général Franco.

Javier Cercas a longtemps hésité avant d'écrire sur Enric Marco. Fallait-il l'oublier pour le punir ou parler de lui pour tenter de comprendre ? L'écrivain a choisi la deuxième option en partant du principe qu'essayer de comprendre n'est ni pardonner ni justifier. Et parce que «le devoir de l'art (ou de la pensée) consiste à nous montrer la complexité de l'existence», dit-il.

Ce livre est intéressant sur le plan de la réflexion sur le mensonge. Javier Cercas se demande notamment si l'on doit condamner cet imposteur qui a menti sur sa vie tout en disant des «vérités» sur les camps nazis? C'est aussi une enquête détaillée sur la vie réelle d'Enric Marco. Depuis son enfance difficile (internée, sa mère a accouché à l'asile) jusqu'à la découverte de l'imposture par l'historien Benito Bermejo, en passant par son rôle durant la guerre civile et sa présidence, dans les années 2000, d'une amicale de survivants espagnols des camps nazis.

Enric Marco estime avoir menti «pour une bonne cause», notamment pour réveiller la conscience des Espagnols vis-à-vis du nazisme et du franquisme. Mais pour le romancier, cette manipulation immorale remplie d'inexactitudes est un viol de la mémoire collective. Un mélange de vérités et de mensonges ne donne pas une histoire vraie.

Javier Cercas démonte la fausse stature d'un homme épris d'un insatiable désir de notoriété. Il nous replonge dans les années sombres du franquisme durant lesquelles, l'auteur l'affirme sans ambages, un grand nombre d'Espagnols ont cédé, se sont résignés et laissé assujettir par une dictature infâme.

«La démocratie en Espagne s'est construite sur un mensonge, sur un grand mensonge collectif ou sur une longue série de petits mensonges individuels», écrit Javier Cercas. Menteur romanesque, Enric Marco est devenu un symbole de l'indécence et de l'avilissement.

Enric Marco, le film

Javier Cercas n'est pas le seul à s'être intéressé à Enric Marco. En 2009, les réalisateurs argentins Santiago Fillol et Lucas Vermal ont fait un documentaire sur lui, intitulé Ich bin Enric Marco.

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L'imposteur. Javier Cercas. Actes Sud, 416 pages.