À 85 ans, Claude Jasmin n'a toujours pas écrit son dernier mot. Alors que son nouveau roman vient d'arriver en librairie, son oeuvre maîtresse, La Petite Patrie, revit en bande dessinée 40 ans après avoir été adaptée au petit écran. Entrevue avec la bédéiste derrière cette adaptation et critique du nouveau livre de l'écrivain montréalais.

Faire revivre La Petite Patrie en BD



La Petite Patrie, roman de Claude Jasmin publié en 1972, n'a pas fini de nourrir l'imaginaire montréalais. Après la série télévisée des années 70, voilà que cette histoire sur le quotidien d'une famille issue d'un quartier populaire de la métropole reprend forme sous les traits de crayon d'une jeune artiste.

Scénarisée par Normand Grégoire, la bande dessinée qui vient tout juste de paraître est illustrée par Julie Rocheleau, bédéiste montréalaise choisie par l'éditeur français Dargaud pour donner un nouveau visage à l'illustre Fantômas. Nous lui avons posé trois questions.

Qu'est-ce qui t'a donné envie de travailler à ce projet?

Je faisais de la BD d'aventure grand public quand Normand [Grégoire] m'a proposé l'idée. J'ai sauté dessus! C'est exactement ce que je voulais faire après Fantômas. Je n'ai pas connu la série télévisée, mais je connaissais Claude Jasmin et l'histoire m'a immédiatement parlé. La série a vieilli, mais elle a quelque chose d'intemporel. La Petite-Patrie, c'est aussi mon quartier, et j'ai beaucoup de tendresse pour ce quartier. Je suis une fille des années 80. On peut penser qu'il y a une grande distance avec La Petite Patrie, mais c'est très universel. Ça ressemble à la vie de tout le monde.

Qu'est-ce que La Petite Patrie évoque pour toi?

J'ai grandi à la campagne, mais ma mère a grandi dans La Petite-Patrie. J'adorais les histoires des jeux de ruelle même si je n'ai pas connu cette réalité. Je ressens une espèce de nostalgie empruntée pour cette époque. Cela dit, on ne voulait pas non plus montrer une espèce de bon vieux temps idéalisé dans la bande dessinée. On se rappellera que La Petite Patrie, c'est l'histoire de gens pleins de contradictions. C'est l'histoire d'une société, très blanche et catholique, qui se méfiait peut-être un peu des étrangers, comme le Chinois avec qui les enfants étaient méchants. Les enfants reproduisaient aussi le modèle de la guerre dans leurs jeux de ruelle, un peu comme pour nous remettre nos défauts en pleine face.

Est-ce que tu t'es directement inspirée des «paysages» de ton quartier pour créer les dessins de la BD?

J'ai pris beaucoup de photos du quartier et j'ai utilisé des photos d'époque de Montréal du musée McCord, qui en a de tous les quartiers de la ville. J'ai un peu inventé la ruelle, mais il fallait quand même qu'on reconnaisse la rue Saint-Denis et la rue Saint-Hubert. Par contre, il y a des endroits comme la patinoire qui n'existent plus. Mais l'enseigne du restaurant du père de Claude Jasmin, elle, je l'ai copiée de vieilles photos.

Claude Jasmin, le charmeur

Dans Angela, ma petite-Italie, troisième volet de la trilogie sur ses amours de jeunesse, Claude Jasmin revient sur son coup de foudre pour «la belle Italienne de la rue Drolet» qui lui a fait perdre la tête à l'aube de ses 17 ans.

Après Anita, une fille numérotée et Élyse, la fille de sa mère, voilà que l'auteur de La Petite Patrie fait revivre les Fasano, ces Italiens qui déménagent dans la rue voisine par un beau jour de printemps.

Sitôt qu'il l'aperçoit, le jeune Claude tombe follement amoureux de la belle Angela, «muse aux longs cheveux d'ébène» dont le petit accent à la française lui rappelle «les films de Pagnol vus au cinéma Château». C'est le coup de foudre devant cette «apparition» qui, il le sent, va changer sa vie et la transformer en une «fameuse fête».

Mais comme avec Élyse, tout le monde se ligue contre l'idylle qui pourrait naître entre Claude et sa «jolie noironne» trop protégée. Il y a «Enzio-le-terrible», le père d'Angela, qui le terrorise avec ses yeux de feu et le menace de lui tordre le cou s'il le voit rôder autour de sa fille. Claude doit aussi composer avec sa «fatiquante de mère» qui ne cesse de lui dire qu'il sera rejeté et qu'il devrait plutôt choisir parmi le «grand choix de filles de notre race et de notre religion».

Claude Jasmin est drôle, impudique, et toujours aussi charmeur. Le conteur invétéré utilise ce langage coloré qu'on lui connaît et raconte ses amours avec la même franchise que dans ses romans précédents.

On retrouve avec plaisir le Montréal des années 40 de Claude Jasmin, qui préfère traîner dans la ruelle ou la gargote de son père, plutôt que de se rendre au «maudit cours de religion» au collège Grasset, après la messe des dimanches matin, où on ne lui enseigne que «l'italien-des-temps-anciens».

Le jeune Claude est d'ailleurs si déterminé à conquérir le coeur de sa dulcinée qu'il s'achète un lexique Francese-italiano et apprend l'italien pour lui susurrer des mots doux.

Malgré tous ses efforts pour garder Angela à ses côtés, le garçon «pur» et sensible qu'il était se heurte à cette impuissance que ressentent les enfants du monde entier. «De nouveau, je prends conscience qu'on est sans aucun pouvoir sur nos vies. Que, jeunes, on est ballottés au gré du vent, au gré de nos parents», écrit-il.

La belle Italienne qu'il voulait voir matin, midi et soir et qui lui avait fait perdre l'envie de «fleureter» les mignonnes vendeuses de la rue Saint-Hubert, il ne l'oubliera jamais. Une fois de plus, Claude Jasmin réussit à nous toucher au point que, comme lui, on sursautera peut-être en entendant quelqu'un crier «Angela!».

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Angela, ma petite-Italie. Claude Jasmin. Éditions XYZ, 158 pages.