Certaines personnes pensent qu'elle est un homme, d'autres qu'elle vit en France ou au Japon: Aki Shimazaki, dont les livres sont traduits dans une dizaine de langues, est en effet presque aussi discrète que Réjean Ducharme.

L'auteure d'origine japonaise, qui vit à Montréal depuis près de 25 ans, refuse systématiquement les entrevues, non pas par caprice, mais parce qu'elle estime que ses livres parlent d'eux-mêmes. «Je ne veux pas avoir à expliquer comment on doit lire mes histoires. Je préfère que les lecteurs décident.»

Aki Shimazaki a beaucoup joué le jeu des médias au début de sa carrière, il y a 16 ans. Mais elle a délaissé cet aspect de son métier, un peu fatiguée de toujours se faire poser les mêmes questions. Petite femme fébrile et mystérieuse, elle dit avoir accepté de nous rencontrer - quatre ans après notre première demande! - d'abord parce qu'elle apprécie nos qualités de lectrice. Mais après avoir déploré que les citations rapportées par les journalistes déforment souvent ses propos, elle refuse qu'on l'enregistre. «C'est grave, dit-elle devant nos protestations. Je ne veux pas que vous gardiez ma voix.»

C'est donc un «personnage» qui se trouve devant nous par un bel après-midi d'automne dans un salon de thé du Quartier latin. Mais qui accepte de bonne grâce pendant une heure de se livrer un peu, de parler de sa manière de travailler et de son désir de s'investir totalement dans l'écriture, ce qui la pousse à vivre loin des projecteurs.

«J'aime rester tranquille, dit Aki Shimazaki. Si j'accepte les entrevues, je n'ai plus de temps pour écrire. Ça m'énerve et ça me bloque.» L'auteure de 61 ans a d'ailleurs augmenté sa cadence depuis quatre ans. Elle publie maintenant un roman par année, dont le plus récent, Hôzumi, est sorti cet automne. Et elle est déjà «enceinte» du prochain, dit-elle en souriant.

«Tout le monde doit trouver sa solution pour faire quelque chose de sa vie. Moi, ç'a été l'écriture, et j'en ai de plus en plus besoin. Je ne peux plus arrêter, sinon je perds mon équilibre.»

C'est au Québec qu'elle a atteint cet équilibre, où elle a eu l'intuition qu'elle devait écrire. Alors qu'elle a vécu 26 ans au Japon et 11 ans au Canada anglais, c'est ici qu'elle a trouvé sa liberté et l'audace de se lancer. De Tsubaki (1999) à Hôzuki, elle a maintenant à son actif douze romans (les dix premiers divisés en deux pentalogies), tous écrits directement en français. Écrit-elle différemment qu'en japonais? «Totalement. En japonais, mes phrases sont plus longues. En français, c'est beaucoup plus minimaliste.»

Le style Shimazaki, c'est ça: une écriture d'une simplicité bouleversante, des phrases courtes et directes, qui vont droit au but, sans lyrisme. Chacun de ses courts livres creuse un sillon différent dans le cadre très codifié de la société japonaise, souvent autour d'un secret du passé, la plupart du temps explorant la famille, mais surtout différents aspects du couple, sa «préoccupation de base».

«J'écris sur la vie et l'amour», dit celle qui se compare à une comédienne et qui se met chaque fois dans la peau de son personnage pour créer ses longs monologues intérieurs. «Ce n'est pas moi qui parle, mais je me mets à leur place. Qu'est-ce que je ferais si j'étais eux?»

Sous la surface calme des romans d'Aki Shimazaki bouillonne ainsi un torrent de sentiments, de désir et de passion. Son rôle, estime-t-elle, n'étant pas d'écrire les émotions, mais de les laisser monter. «Je ne veux pas les minimaliser, seulement imaginer ce que les personnages vivent. Mais pas besoin de violons! Ici, on en dit en général beaucoup trop.»

Le sens d'écrire

Avant de choisir un personnage, Aki Shimazaki choisit un titre - un seul mot, en japonais, qui est souvent un nom d'objet, de plante ou de fleur. «Je vois comment il sonne à mon oreille. Comme pour Hôzuki [le physalis] et Mitsuko, le personnage. Je médite alors sur ce que je peux faire avec les deux ensemble.»

Dans le cas de Hôzuki, elle s'est inspirée d'une histoire qu'elle avait entendue il y a 40 ans, celle d'un bébé trouvé mort dans une consigne. «Je ne savais pas comment diriger ça, je n'étais pas assez forte. Parfois, il y a des graines qui restent longtemps semées, le temps passe et on finit par les ramasser.»

Hôzumi raconte donc l'histoire de Mitsuko, propriétaire d'une librairie d'occasion spécialisée en livres de philosophie, maman célibataire d'un petit garçon métis et sourd. Mais la jeune femme porte un secret précieux qui risque d'être mis au jour par une nouvelle cliente.

Ce roman très dérangeant, dont la finale arrachera probablement une larme à nombre de lecteurs, aura été l'occasion pour l'auteure de réfléchir sur la force du lien maternel, qu'il soit biologique ou non. Mais le thème du livre, comme d'habitude, ne s'est dessiné qu'à la fin de l'écriture.

«Quel est le sens d'écrire? Je le trouve moi-même en écrivant, car je ne connais pas la fin. Je crois que si je déterminais le sujet d'abord, ce serait moins profond, même un peu ennuyant.»

Dans Hôzuki, donc, le thème de l'amour maternel est arrivé tout doucement. C'est pour cette raison qu'elle doit ensuite réécrire ses textes de nombreuses fois au complet - de trois à cinq fois! - avant de donner son manuscrit à son éditeur. «Quand je comprends ce que j'avais à dire, je recommence du début à la fin. Il y a vraiment beaucoup de différences entre la première et la dernière version! Je me psychanalyse moi-même.»

Aki Shimazaki repart tout doucement vers ce qu'elle chérit le plus au monde, son anonymat et sa tranquillité. Elle nous dit au revoir, porteuse, on l'espère, d'encore beaucoup d'histoires qui nous prendront aux tripes. «Beaucoup d'écrivains rêvent d'être connus. Moi, c'est le contraire. Pour moi, un écrivain, ça écrit.»

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Hôzuki. Aki Shimazaki. Leméac/Actes Sud, 142 pages.