Le prix Goncourt, la plus prestigieuse des récompenses littéraires francophones, a été décerné mardi à Paris à Mathias Enard pour son roman Boussole (Actes Sud), consacré comme les trois autres oeuvres finalistes, aux relations compliquées entre Orient et Occident.

Écrivain français fasciné par l'Orient, Mathias Enard, 43 ans, était l'un des favoris du Goncourt. Il a recueilli six suffrages sur les dix membres du jury de l'académie Goncourt.

«Le livre a sa vie en dehors de nous et parfois cette vie rattrape l'auteur comme en ce moment», a déclaré l'auteur, qui s'est dit «extraordinairement heureux» d'avoir été distingué.

«C'est un roman, une histoire d'amour savante pour donner un côté érotique au partage du savoir», a-t-il ajouté en évoquant Boussole».

«Je suis surpris et très heureux», a-t-il dit à la presse dans une cohue indescriptible. «Je reviens d'Alger, figurez-vous, et de Beyrouth», a ajouté l'auteur de Boussole. «Et peut-être la baraka de Cheikh Abderrahmane, le patron d'Alger, et Saint Georges de Beyrouth ont fait ça et j'en suis extraordinairement heureux».

Roman ambitieux, son livre entend réhabiliter l'Orient, face aux clichés de l'Occident. Le livre, enfiévré, tient parfois du poème. Les références culturelles innombrables le font aussi parfois pencher vers l'essai érudit.

Cette complexité était considérée comme le bémol susceptible d'empêcher Enard de décrocher le Goncourt, seul prix pour lequel il a été sélectionné.

Les relations compliquées entre l'Occident et l'Orient étaient au coeur des quatre romans finalistes du Goncourt cette année, dévoilés le 27 octobre au musée du Bardo à Tunis.

Mathias Enard était l'un des deux favoris avec l'écrivain franco-tunisien Hédi Kaddour pour son roman Les prépondérants (Gallimard).

Les deux autres finalistes étaient Tobie Nathan pour Ce pays qui te ressemble (Stock) et Nathalie Azoulai, seule femme du groupe, avec Titus n'aimait pas Bérénice (POL).

Le grand absent de la sélection finale était l'Algérien Boualem Sansal, auteur de 2084 (Gallimard), livre dévoilant un monde livré à un État religieux fanatique. Sansal a reçu un prix de consolation en décrochant la semaine dernière le grand prix du roman de l'Académie française, ex-aequo avec Hédi Kaddour.

Un chèque de 10 euros 

Le lauréat du Goncourt recevra un chèque de... 10 euros (14,40 $). Mais l'enjeu est ailleurs: un roman estampillé Prix Goncourt se vend en moyenne à environ 400 000 exemplaires.

Au jeu des pronostics, neuf des 16 critiques littéraires interrogés en fin de semaine dernière par l'hebdomadaire spécialisé Livres Hebdo s'attendaient à voir Hédi Kaddour récompensé. Les sept autres avaient parié sur Mathias Enard.

Le principal handicap de Kaddour est d'avoir déjà été récompensé par l'Académie française. Jusqu'à présent, seuls deux écrivains ont reçu la même année le prix des «Immortels» et le Goncourt. Le dernier en date est Jonathan Littell, en 2006, pour Les bienveillantes.

À l'inverse, Mathias Enard avait reçu en septembre le prix des libraires de Nancy-Le Point. Or, depuis 2013, les lauréats de ce prix ont été récompensés ensuite par le Goncourt.

Mathias Enard, qui succède à Lydie Salvayre (Pas pleurer, Seuil), figure désormais sur une liste de lauréats prestigieux dont Marcel Proust (1919 pour À l'ombre des jeunes filles en fleur), André Malraux (1933 pour La Condition humaine) ou plus récemment Michel Houellebecq (2010 pour La Carte et le territoire).

Dans la foulée du Goncourt, le prix Renaudot a été décerné mardi à Delphine de Vigan, la seule femme figurant parmi les prétendants, pour D'après une histoire vraie (JC Lattès).

Les autres finalistes du Renaudot étaient Laurent Binet pour La septième fonction du langage (Grasset), Christophe Boltanski (La cache, Stock), Fabrice Guénier (Ann, Gallimard) et Philippe Jaenada (La petite femelle, Julliard).