Paru la semaine dernière au Québec, Sable mouvant se présente comme le testament bouleversant d'Henning Mankell, mort le 5 octobre à l'âge de 67 ans. Cette oeuvre marquante, la dernière de l'écrivain suédois, revient sur sa vie, ses convictions et l'angoisse qui l'a envahi dans les mois qui ont suivi son diagnostic de cancer. Critique et extraits de ce livre ultime.

À l'hiver 2014, un événement sonne le glas d'une ère d'insouciance pour Henning Mankell. Le père du célèbre commissaire Kurt Wallander, né sous sa plume dans les années 90, apprend qu'il est atteint d'un cancer. L'annonce équivaut pour l'écrivain à un «cataclysme». D'abord paralysé par cette nouvelle, Henning Mankell décide d'affronter la maladie et d'entreprendre les traitements suggérés par son médecin, consignant cette épreuve dans ce qui deviendra un recueil de «fragments» de sa vie.

Dans l'attente, les souvenirs se matérialisent, prenant la forme de courts chapitres éparpillés dans le temps: souvenirs de son enfance dans une petite ville du nord de la Suède, de ses voyages à travers l'Europe et l'Afrique, des gens qui ont croisé son chemin et qui l'ont marqué...

On découvre au fil de ses évocations un grand voyageur, passionné d'art, de théâtre, de littérature et d'histoire qui, jusqu'au dernier instant, n'a cessé de s'instruire.

Selon lui, chaque apprentissage est un pas de plus «dans ce monde dont nous ne savons presque rien».

En Afrique, qu'il a découverte pour la première fois il y a 40 ans et où il a passé la moitié de sa vie, il dit notamment être arrivé avec l'idée fausse de trouver beaucoup de différences entre les Africains et lui. Or, il n'a constaté que des ressemblances. «J'ai compris que nous appartenions tous à la même famille», écrit-il.

En toile de fond de ces mémoires ressort aussi l'homme qui n'a jamais hésité à prendre position sur les droits fondamentaux des êtres humains, s'opposant fermement à toute forme de brutalité et d'inégalité, soulignant son admiration pour ces héros de l'ombre qui ont su résister à la violence et à l'oppression au cours de l'histoire.

«Écrire, décidai-je, c'était orienter ma lampe vers les recoins sombres et tenter d'éclairer de mon mieux ce que d'autres s'efforçaient au contraire d'occulter», se souvient-il lors d'un séjour à Salamanque, en Espagne.

Aussi soucieux de l'environnement que de la condition humaine, profondément révolté devant les nouvelles formes d'esclavage et l'exploitation effrénée de notre planète, Henning Mankell livre aussi dans Sable mouvant une grande inquiétude par rapport au destin de l'humanité. Habité d'une profonde sensibilité qui a toujours teinté ses romans, le grand penseur pressent que notre instinct de destruction nous conduira inévitablement à l'anéantissement de notre espèce.

Réflexions existentielles

À mesure qu'il noircit les pages, l'écrivain suédois parvient néanmoins à se sortir la tête du labyrinthe de la maladie, et une nouvelle forme de «normalité» fait son apparition dans son existence. Tout en cherchant à élucider sa relation à la mort, il se questionne avec lucidité sur les raisons qui le poussent à lutter contre le cancer, alors qu'il est parfaitement conscient que la vie est une bataille perdue d'avance.

Entre ses souvenirs d'Afrique et ses pérégrinations en Europe, Henning Mankell ne cesse d'explorer cette question de «l'envie de vivre», citant même Albert Camus, dans Le mythe de Sisyphe. «En dernier ressort, la survie est notre unique préoccupation», conclut-il.

L'écrivain engagé va même jusqu'à évoquer les migrants qui arrivent par milliers en Europe «pour reconquérir leur joie de vivre», en suivant exactement les mêmes raisons, souligne-t-il, que ces Européens partis par millions vers l'Amérique du Nord et du Sud.

Tout au long du livre, l'écrivain demeure vrai et raconte, sans jamais se cacher derrière la honte, ces moments où il a cédé à ses «tempêtes» émotionnelles ou n'a pas réagi.

À la fois source de réflexion et d'inspiration, la lecture de ce dernier livre d'Henning Mankell donne immanquablement l'envie de replonger dans toute son oeuvre. Une vaste collection de romans et de pièces de théâtre qu'on ne peut, désormais, relire autrement que sous un nouveau jour.

Henning Mankell en cinq passages

Dans Sable mouvant, Henning Mankell se dévoile. Autoportrait en cinq passages tirés du livre.

Sur l'énergie nucléaire

«Je suis un opposant à l'énergie nucléaire. Chaque incident avéré - et chaque incident où le pire a été évité de justesse - renforce ma défiance.»

Sur l'espoir

«Nous devons sans cesse veiller à ce que l'espoir soit plus fort que le découragement. Sans espoir, il n'y a pas, au fond, de survie possible.»

Sur «l'université de la vie»

«Je ne suis pas devenu écrivain au cours des mois que j'ai passés à Paris. Ce n'était pas important. L'important, c'était de faire le premier pas afin de devenir un être humain doué de conscience.»

Sur l'engagement

«Même s'il m'est arrivé d'avoir tort dans la vie, j'estime que ce ne peut pas être pire que de ne pas prendre position.»

Sur son attachement à la lecture

«Dans les moments difficiles, prendre un livre et m'y perdre, disparaître dans le texte, a toujours été ma façon à moi d'obtenir soulagement, consolation ou, du moins, un peu de répit.»

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Sable mouvant - Fragments de ma vie. Henning Mankell. Seuil, 368 pages.