Comme dans un roman d'Agatha Christie, la nuit est propice aux mystères et mystifications à Torquay, la ville qui l'a vue naître il y a 125 ans, où l'on voit soudain surgir le fantôme de l'auteure au détour d'un jardin.

«Tu crois que c'est elle?» demande à moitié sérieuse une jeune femme à son voisin, face à la silhouette recroquevillée sur une machine à écrire, éclairée par un faible halo de lumière, chapeau cloche sur la tête et feuillets à la main.

Non, ce n'est pas elle comme ce n'est pas Hercule Poirot, le célèbre petit détective belge de son invention, qui déambule dans les allées de ce parc, celui de Torre Abbey, l'un des lieux qui accueillent pour dix jours un festival consacré à la romancière.

Mais c'est pour ce genre de happening que Piers Cardon, 66 ans, «super fan» d'Agatha Christie comme il aime à se qualifier, a fait le déplacement dans le Devon depuis Oxford.

«Je veux vivre l'ambiance, ressentir une partie de cet âge d'or du roman policier» britannique, dit-il.

Sous ses allures de gentleman bon teint, l'enseignant à la retraite n'hésite pas à donner de sa personne et à revêtir un blazer et un canotier, typiques des années 1930, à l'occasion d'une fête.

Ses coreligionnaires, venus en pèlerinage du monde entier, sont dans le ton également: chaussures à guêtres et queue de pie pour les hommes, colliers de perles, étoles et robes satinées ou en voile pour les femmes.

Cependant la nostalgie n'est pas la seule motivation de cette joyeuse troupe qui veut danser au son du piano et boire des cocktails baptisés «old-fashioned» dans les salons des hôtels de cette Riviera anglaise que leur idole avait l'habitude de fréquenter.

«Je déteste la cruauté»

«Je veux approfondir mes connaissances sur Agatha Christie», explique Piers Cardon, qui a lu son premier roman de la reine du crime à l'âge de dix ans et n'a jamais décroché depuis.

On le retrouve donc à la conférence de Martin Edwards, auteur de romans policiers, venu expliquer comment Agatha Christie et ses confrères de l'époque ont créé le légendaire Detective Club et posé les fondations du roman policier moderne.

David Brawn, directeur éditorial chez HarperCollins, retrace lui les relations pas toujours apaisées de la romancière avec ses éditeurs, illustrant son propos des photos des différentes jaquettes qui ont illustré ses romans depuis le premier en 1920, La mystérieuse affaire de Styles.

Au total, le festival affiche une centaine de rendez-vous, entre projections, conférences, expositions ou soirées théâtrales car Agatha Christie a écrit pas moins d'une vingtaine de pièces.

Veronika Hotowy, là pour une semaine, se délecte elle des lectures organisées quotidiennement et au cours desquelles le public pouffe régulièrement de rire à l'écoute des textes et dialogues à l'humour grinçant.

«Normalement je n'aime pas les crimes, je déteste la cruauté», dit la danseuse originaire de Vienne, la capitale autrichienne.

«Mais dans les histoires d'Agatha Christie, la description du meurtre tient en une phrase. Ensuite, il s'agit d'un jeu: trouver le tueur à l'aide de vos petites cellules grises», s'amuse-t-elle, reprenant l'expression favorite de Poirot.

Piers Cardon dit aussi ne pas se reconnaître dans les thrillers psychologiques d'aujourd'hui. «Ils veulent rendre les choses complexes, vous projeter hors de votre vie normale. Agatha Christie ne faisait pas ça. Elle disait: prenez ce village, il n'a rien de complexe mais en l'observant de près, vous résoudrez le meurtre.»

«Ses personnages ont l'air vrai, ce sont des personnages que l'on peut comprendre, qui peuvent exister», ajoute-t-il, jugeant ses livres très bien écrits et pas le moins du monde datés.

«Tous les auteurs actuels ont lu Agatha Christie et s'en sont inspirés, qu'ils le reconnaissent ou non. Elle a tout inventé», abonde Anne Martinetti, éditrice et auteure française qui lui a consacré plusieurs livres.