«Un jour, pour rire, il faudra que je publie toutes les lettres de menaces que j'ai reçues à Charlie Hebdo de la part des fascistes cathos et de fascistes musulmans», écrivait le dessinateur français Charb dans un ouvrage posthume qui paraît jeudi.

Dans ce petit livre, achevé selon l'éditeur deux jours avant l'attentat jihadiste contre l'hebdomadaire satirique qui lui a coûté la vie, le directeur de Charlie déplore notamment que ceux qui luttent contre l'islamophobie minimisent «le danger raciste», car les musulmans sont plus souvent attaqués en qualité de «personne d'origine étrangère» qu'en tant que pratiquants d'une religion.

«Avoir peur de l'islam est sans doute crétin, absurde, et plein d'autres choses encore, mais ce n'est pas un délit», écrit le dessinateur dans sa «Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes».

Les journalistes de Charlie Hebdo avaient essuyé des menaces de mort répétées à la suite de la publication de caricatures du prophète Mahomet. Charb faisait l'objet d'une protection policière depuis plusieurs années. En novembre 2011, les locaux de Charlie Hebdo avaient été détruits par un incendie criminel.

Le 7 janvier, les frères Chérif et Saïd Kouachi ont abattu douze personnes dans l'attaque contre le siège du journal.

Dans un style d'un humour acerbe, usant du ton familier qui est la marque de fabrique de Charlie Hebdo, Charb soutient que «le problème, ce n'est ni le Coran ni la Bible, romans soporifiques, incohérents et mal écrits, mais le fidèle qui lit le Coran ou la Bible comme on lit la notice d'une étagère Ikea», en pensant qu'«il faut tout bien faire comme c'est marqué sur le papier, sinon l'univers se pète la gueule».

Puisque «une religion n'existe pas sans croyants», il faut pouvoir se moquer des musulmans comme des adeptes des autres religions, soutient-il, fidèle à l'orientation résolument anticléricale de son journal.

Une balle par jour éloigne l'infidèle

Charb s'en prend au terme d'«islamophobie» qui n'est selon lui «pas seulement mal choisi», mais «dangereux» car détournant du véritable combat contre le racisme.

Il fustige les «militants communautaristes qui essaient d'imposer aux autorités judiciaires et politique la notion d'«islamophobie»» et qui «n'ont pas d'autre but que de pousser les victimes de racisme à s'affirmer musulmanes». «Trop de politiques jouent également contre la république en flattant le croyant supposé plutôt que le citoyen», accuse-t-il. «Le communautarisme, que tout le monde dénonce dans les discours, est encouragé dans les faits.»

Le terme d'islamophobie est l'objet d'une vive polémique en France: adopté par les associations musulmanes pour dénoncer les manifestations agressives ou discriminatoires frappant les croyants de cette religion, il est contesté par certains défenseurs de la laïcité qui revendiquent le droit de critiquer l'islam.

Charb moque aussi les injonctions des politiques et des religieux à «être responsable» dans la caricature. «Les censeurs n'en veulent pas du tout, de cette pute de liberté d'expression! Pas du tout. Mais ils ont raison de manifester leur barbare bêtise, puisque ça fonctionne. L'autocensure est en passe de devenir un art majeur en France», écrivait-il.

Dans un passage glaçant au vu du destin de l'auteur, celui-ci indique avoir trouvé en 2013 son nom et sa photographie (prise selon lui dans les locaux où il sera assassiné) dans Inspire, le magazine d'Al Qaeda dans la Péninsule Arabique, qui listait onze personnalités «accusées de «crimes contre l'Islam» et recherchées «mortes ou vives»».

«L'habile montage est titré YES WE CAN et en-dessous on peut lire: «A bullet a day keeps the infidel away» (Une balle par jour éloigne l'infidèle).»