L'écrivain et journaliste uruguayen Eduardo Hughes Galeano, figure de la gauche latino-américaine et auteur du célèbre Les veines ouvertes de l'Amérique latine, est mort lundi à l'âge de 74 ans des suites d'un cancer du poumon.

M. Galeano était hospitalisé depuis plusieurs jours à Montevideo, selon l'établissement où il était soigné.

Journaliste, conteur et essayiste, il a consacré toute sa carrière à étudier les profondeurs et les contrastes de l'Amérique latine, n'hésitant pas non plus à s'afficher aux côtés du sous-commandant Marcos au Mexique ou critiquer la guerre des États-Unis en Irak.

La présidente du Brésil Dilma Rousseff, qui l'avait cité dans son discours devant ses pairs au Sommet des Amériques samedi à Panama, a salué dans un communiqué «une plus grandes icônes de la lutte pour la justice sociale».

«Le monde a perdu un maestro», a lui commenté le président bolivien Evo Morales, tandis que les hommages se sont multipliés en Argentine, où il a vécu et travaillé.

Paru en 1971 en espagnol puis traduit dans une vingtaine de langues, Les veines ouvertes de l'Amérique latine, réquisitoire contre l'exploitation du sous-continent depuis l'arrivée des premiers colons espagnols, était devenu un classique de la pensée de gauche des années 70 et 80 puis de l'altermondialisme.

Ce livre avait été offert par l'ancien président du Venezuela Hugo Chavez à son homologue américain Barack Obama, lors d'un sommet en 2009, ce qui avait dopé ses ventes.

Mais dans une démonstration d'autocritique peu courante, M. Galeano avait lui-même pointé l'an dernier les faiblesses de son ouvrage, à l'occasion de la biennale du livre à Brasilia.

«Je ne serais plus capable de le lire. Il pèserait trop. Pour moi, cette prose de la gauche traditionnelle est terriblement ennuyeuse», avait-il lancé devant la presse.

Intellectuel éclectique 

Ce livre, paru alors qu'il avait 31 ans, «se voulait une oeuvre d'économie politique, mais je n'avais pas la formation nécessaire», avait-il ajouté. «Je ne regrette pas de l'avoir écrit, mais c'est une étape, pour moi, je l'ai dépassée.»

«Je n'ai pas eu la chance de connaître Shéhérazade, je n'ai pas appris l'art de la narration dans les palais de Bagdad, mes universités ont été les vieux cafés de Montevideo», confiait aussi en 2009 à Madrid cet amateur des salles de bar.

Alors qu'il n'a jamais terminé sa scolarité au collège, Eduardo Galeano a débuté sa carrière de journaliste à 14 ans, en publiant des caricatures dans l'hebdomadaire El Sol, du Parti socialiste.

Entre 1961 et 1964, il a dirigé la prestigieuse revue Marcha, repaire d'intellectuels, puis il a pris la direction du journal de gauche Epoca (1964-1966).

Emprisonné dans la foulée du coup d'État militaire de 1973, il s'exile en Argentine puis en Espagne, avant de revenir en Uruguay au retour de la démocratie en 1985.

Atteint par la maladie, cet homme au physique imposant et au crâne chauve ceint d'une couronne de cheveux blancs, n'a cessé d'écrire ni de se livrer à ce qu'il considérait comme un devoir: la critique sociale.

Au cours de l'une de ses dernières apparitions publiques, il avait évoqué son «droit au délire» et lancé un message à l'humanité, à qui il lègue des dizaines d'ouvrages sur la politique, l'histoire ou le football.

Distingué à deux reprises (en 1975 et 1978) par le Casa de las Américas, un des plus anciens prix littéraires d'Amérique latine décerné par Cuba, Eduardo Galeano avait également reçu en 1989 le American Book Award de l'Université de Washington pour sa trilogie Mémoire du feu.

Entre sa date de naissance et celle de sa mort, «le temps est plein d'exils, de livres, de noms d'amis et d'ennemis, de nombreux prix, de doctorats Honoris Causa, de campagnes de discrédits (...)» qui  rempliront les «profils que les encyclopédies et articles de tous types lui consacreront pour la postérité», a écrit sa maison d'édition espagnole, Siglo XXI, dans un communiqué.

Marié et père de trois enfants nés de différentes unions, Eduardo Galeano devait être enterré ce lundi à Montevideo, selon la presse locale.