Le Québec entre ces jours-ci dans la charmante collection des «dictionnaires amoureux» des éditions Plon par la plume de Denise Bombardier. Cette collection exige de ses auteurs un amour de leur sujet, et qui ne connaît pas la passion de celle qui défend le Québec sur les plateaux français? De son propre aveu, ce projet a été l'occasion pour elle de se confronter à son rapport au Québec et de laisser parler ses émotions, du mot «Accent» au mot «Zouave» en passant par la lettre Q, qu'il ne fallait pas prononcer... Et c'est l'occasion pour nous de jouer au jeu de l'abécédaire avec Madame B.

AMOUR: «Au fond, il faut être dans la distance pour savoir à quel point on est attaché, c'est ce qui arrive souvent dans l'amour. Pour moi, le fait de faire des allers-retours au Québec, ça me permet de respirer. C'est étouffant si on reste ici, il faut aller se ventiler. Ailleurs aussi, ils sont dans l'étouffement, mais comme nous ne sommes pas eux, nous ne prenons que ce qui nous intéresse. Ce livre m'a permis de me souvenir de ce que l'on est. Ça m'a permis de retomber amoureuse, en quelque sorte. Pas que je ne l'étais pas déjà, mais je n'en avais pas la conscience. Parce que même si, depuis de nombreuses années, je commente et j'entre dans le débat, je suis toujours un peu au-dessus émotionnellement. Là, je suis entrée émotionnellement dans ce livre. Ça m'a échappé, d'une certaine façon. C'est-à-dire que j'ai laissé l'écrivain écrire.»

BOMBARDIER: «Il y a deux ans, je suis allée à Bali, et quand on est revenu, à l'aéroport, j'ai vu l'équipage au garde-à-vous. J'ai dit à mon mari qu'il devait y avoir une personnalité du pays avec nous dans le vol [un appareil Bombardier]. Mais le pilote s'est avancé vers moi et m'a dit: «Miss Bombardier, we are so honored.» Ils ont pris des photos, avec les hôtesses, le copilote... Surtout en Allemagne ou en Asie, on me demande si je suis de la famille du créateur Bombardier. Je dis toujours que oui, mais que je ne suis pas de la famille de l'héritage... Les inventeurs, ça m'impressionne tout le temps!»

BOIS: «Le bois, au Québec, c'est une métaphore. Aller se perdre en se retrouvant, et aller se retrouver en se perdant... Parce qu'on peut faire ça. Notre infini, ce sont nos forêts. Si vous marchez, vous allez marcher jusqu'à la calotte polaire! Vous avez l'espace. C'est un rapport à la nature, qui n'est pas toujours gentille. On est écrasé par la force de la nature, et inquiété aussi. On entre dans un monde où on ne contrôle pas tout. De se remettre là-dedans, c'est retourner dans nos sources fantasmatiques.»

CRISE: «Oui, le Québec est en crise. On n'est pas dans une période faste, c'est clair, et ce n'est pas de la nostalgie de dire ça. Personne n'est capable de comprendre comment gouverner avec la mondialisation, en ce moment. D'écrire ce livre en ce moment m'a permis d'aller chercher le meilleur de ce qu'il y a au Québec, de regarder ce qui est si attirant pour les étrangers aussi. L'espèce d'énergie brute qu'il y a ici. Comme aux États-Unis. Parce que nous sommes des pays neufs, quoi, même si on vieillit.»

DENISE: «Denise, c'est pour ma vie intime. J'ai un problème parce que mon père ne m'a jamais prénommée. Alors j'ai fait un métier où tous mes concitoyens connaissent mon nom. Je sais une chose, je suis très fière de mon nom, Bombardier, parce qu'à mon avis, je le porte correctement. Je réponds à son injonction! Je ne pourrais pas m'appeler Ladouceur. Mon nom, je l'aime, parce que je vois bien la réaction. On m'a appelé Madame B, B-52, Miss Quatre moteurs... j'ai eu droit à tout!»

FEMMES QUÉBÉCOISES: Je les connais, parce que j'ai été élevée par des maîtresses femmes. Le Québec, c'est un matriarcat psychologique, qu'on le veuille ou non, même si ça ne fait pas plaisir à certaines personnes qui trouvent que c'est le patriarcat qui nous a écrasées. Le prix que les hommes ont payé pour écraser les femmes au Québec, il est plus élevé que celui que les hommes ont payé dans d'autres sociétés pour écraser les femmes. D'autant plus qu'on est une des très rares sociétés au monde où les femmes ont été plus instruites que les hommes. Ça permettait aux femmes d'avoir un ascendant sur les hommes. C'est pourquoi, quand le féminisme est arrivé, cela a été si dur pour les hommes d'ici. Mais c'est aussi ici qu'il y a le plus d'hommes féministes.»

HOMMES QUÉBÉCOIS: C'est un homme qui a beaucoup travaillé, comme dans toutes les sociétés rurales. Mais pas dans toutes les sociétés; en Afrique, ce sont les femmes qui font tout, les hommes palabrent. L'homme québécois ne palabrait pas, il était sur les terres, il arrachait les souches, cassait de la pierre et montait au chantier. Peut-être parce que j'ai eu un fils, je trouve qu'il y a une pédagogie négative à l'endroit des garçons ici. Le film Horloge biologique de Ricardo Trogi, c'est le plus déprimant du cinéma québécois! Les cinéastes sont des indicateurs sociaux, et voyez l'image que ce film montre des hommes!»

JOUAL: «C'est sûr que ce n'est pas avec le joual que je me suis rendue où je suis aujourd'hui. Ce n'est pas avec le joual que j'aurais pu discourir en Europe et discuter de choses fondamentales. On ne m'aurait pas comprise. On m'aurait folklorisée. Ça me dérange, je suis une intellectuelle; je ne veux pas qu'on m'écoute pour la façon dont je parle, mais pour ce que j'ai à dire. Ma mère a voulu me sortir de ça très rapidement, très jeune. Elle croyait que c'était par l'instruction qu'on s'enrichissait. Mais en même temps, elle me détachait de mon milieu. Ma langue, affective et très profonde, presque inconsciente, c'est le joual.»

PÊCHE: «C'est un rapport avec cet aspect ludique de la nature. Vous ne pouvez pas imaginer, je peux rester cinq heures sous la pluie avec une ligne et la relancer. Même si je bouge tout le temps, j'ai cette patience-là. La plupart de mes amis n'ont pas voulu venir à mon camp de pêche, c'était trop sauvage pour eux. Mais moi, ça m'éblouit. Mon mari trouve ça insupportable! J'ai failli un jour écrire un petit traité de pêche comme érotisme...»

PÉCHÉ: «Pensez-vous que ce n'est plus dans notre ADN, les gens de 45 ans et plus? Il y a une histoire de dévergondage qui vient de là. On a été nos propres cobayes. Tant qu'on ne sera pas tous morts, on a transmis quelque chose de ça à ceux qui nous suivent. On les a dépossédés d'une culture religieuse, qui n'est pas l'enseignement religieux, mais de savoir l'importance des religions, sinon, comment expliquer ce qui se passe à l'heure actuelle? Je ne trouve pas ça drôle, des enfants québécois qui ne connaissent pas ce que c'est qu'un crucifix, une hostie, un tabernacle, le dimanche, les congés religieux. Donc, la vie est tout le temps pareil, sauf qu'il y a des fins de semaine? Mais maintenant, il y a une autre tyrannie, celle du travail et du temps éclaté. Vous ne pouvez pas pécher, vous n'avez même pas le temps de pécher!»